The Unmaking of a President: Lyndon Johnson and Vietnam
Parmi l’abondante littérature suscitée par la guerre du Vietnam, le livre de M. Schandler tranche par son ton dépassionné et le souci d’apporter une contribution impartiale à la connaissance de cette période tragique de l’histoire des États-Unis. Les fonctions exercées par l’auteur au Pentagone sous l’Administration Johnson le prédisposaient sans doute à traiter ce sujet avec un « regard froid » mais il convient d’ajouter que les contraintes universitaires (le livre procède d’une thèse de doctorat soutenue près l’Université de Harvard) l’enfermaient dans un cadre qui ne se prête guère aux jugements manichéens et aux effusions personnelles.
Au demeurant, le propos du livre est limité à l’analyse du mécanisme de la prise de décision pendant les mois cruciaux de 1968 où le gouvernement américain fut amené à réduire son engagement militaire en Indochine et à amorcer une négociation avec l’adversaire en vue d’un règlement pacifique.
On sait en effet que l’offensive du Têt en janvier 1968 ébranla la confiance du peuple américain et conduisit le Président à mettre en question le bien-fondé de la stratégie suivie jusqu’alors. Certes, la nécessité de voler au secours de l’allié sud-vietnamien pour éviter son effondrement et des réactions en chaîne dans le Sud-Est asiatique (théorie des dominos) n’avait guère été contestée au milieu des années soixante, et seules des voix isolées s’étaient élevées aux États-Unis pour lancer des mises en garde contre les risques d’enlisement dans une guerre coloniale. Cependant, l’engagement militaire sur le terrain et le renforcement régulier du corps expéditionnaire américain s’étaient effectués sans qu’on ait procédé au préalable à un calcul rationnel des coûts, économiques et politiques, de l’opération. Par ailleurs, les responsables politiques avaient négligé de définir un concept stratégique clair et cohérent pour servir de guide à leur action. Aussi les débats intragouvernementaux portaient-ils essentiellement sur un ajustement des moyens disponibles aux requêtes du commandement local, la règle d’or étant de ne pas entamer les réserves et de ne pas compromettre la réalisation du programme social de l’Administration tout en s’efforçant de donner satisfaction aux demandes de renforts formulées par l’état-major en fonction de critères purement militaires. Cet équilibre précaire entre des exigences contradictoires allait être rompu en janvier 1968, quand il apparut que l’opinion publique et le Congrès refusaient la perspective d’une guerre longue et meurtrière, dont les moyens étaient inadaptés à la fin poursuivie et le coût exorbitant.
The unmaking of a Président décrit les étapes successives de l’engagement des États-Unis au Vietnam, souligne les ambiguïtés de la politique suivie et marque la novation introduite dans le débat intérieur par l’offensive du Têt et la nomination de M. Clifford à la tête du ministère de la Défense. Choisi par le Président en fonction de ses qualités personnelles et de son entregent, le successeur de McNamara n’avait pas participé aux décisions antérieures relatives au Vietnam et il sera d’autant plus libre pour aborder ces problèmes avec un regard neuf. Après avoir réuni une commission d’experts pour faire le point de la situation et envisager les mesures à prendre, il ne tarda pas à prendre conscience de la dimension politique du problème et ne vit d’autre issue que dans un changement de cap qui ne pouvait être décidé qu’au niveau le plus élevé.
M. Schandler consacre de longs développements à l’analyse du processus qui a débouché sur le discours du 31 mars 1968 par lequel Lyndon Johnson ouvrit la voie à une solution négociée du conflit. Il évoque les facteurs externes et internes qui ont conditionné cette mutation et prend ses distances par rapport aux auteurs qui voient dans cet épisode un triomphe des « colombes » sur les « faucons ». En fait, les tractations qui précédèrent le retrait de la candidature de Johnson aux élections présidentielles font apparaître qu’au gouvernement le souci de la continuité fut au moins égal à l’obligation du changement. Si les événements suivirent un cours différent à partir de cette date, c’est que la limitation de l’engagement américain était devenue un impératif catégorique, que les adversaires des États-Unis surent saisir l’occasion qui leur était offerte au plan diplomatique (les pourparlers pour la paix au Vietnam furent entamés à Paris en mai 1968) et que l’issue du conflit allait dépendre en dernière analyse de sa « vietnamisation ».
Le mérite du livre de M. Schandler est d’avoir démonté le mécanisme de la prise de décision à propos d’un cas d’espèce où les données de fait et les témoignages sont surabondants et où il n’est pas nécessaire de suppléer l’information de première main par des hypothèses hasardeuses et des extrapolations hâtives. En d’autres circonstances, l’« histoire immédiate » est souvent un exercice malaisé faute d’une distance suffisante par rapport à l’événement et de la clôture des archives. En l’occurrence, la publication des Pentagon Papers, d’abord par le New York Times, puis par le gouvernement a facilité la tâche du chercheur. En outre, les principaux acteurs américains ont publié leurs mémoires et on trouve notamment un récit détaillé des délibérations gouvernementales postérieures à l’offensive du Têt dans The Vantage Point de Lyndon B. Johnson. Enfin, les fonctions officielles de l’auteur lui ont permis d’observer de l’intérieur l’évolution de la situation et il a pu faire état des confidences que lui ont faites des personnalités civiles et militaires de haut rang, telles que MM. Rusk, Rostov et Clifford, ainsi que les généraux Maxwell Taylor et Westmoreland. À cet égard, The unmaking of a Président retiendra l’attention de tous ceux qui s’intéressent à l’élaboration de la politique étrangère de la République impériale (selon le titre d’un ouvrage de Raymond Aron) et souhaitent tirer les leçons de l’échec de son intervention en Indochine. ♦