La France et ses mensonges
Le propos de François de Closets dans La France et ses mensonges est très voisin de celui d’Alain Peyrefitte dans Le mal français. Au point qu’on pourrait sans dommage intervertir les deux titres. D’ailleurs, d’après un libraire parisien, c’est le même public qui a assuré le brillant succès de ces deux best-sellers des dernières vacances.
Mais si le propos est le même : alerter les Français contre le comportement suicidaire de notre collectivité nationale, les façons de l’aborder sont assez différentes. Peyrefitte, énarque subtil, engagé dans le combat politique, s’intéresse surtout, d’un point de vue un peu abstrait, aux techniques de gouvernement. De Closets, plus terre à terre en un sens, ne fait à ces techniques qu’une médiocre confiance, qu’elles soient de gauche ou de droite. Ce qui, pour lui, rend les Français ingouvernables, ce ne sont pas les défauts de tel ou tel organigramme ou la fragilité de certaines structures inadaptées, mais les « tabous » que secrète la société française et qui empoisonnent, sans que nous nous en rendions compte, notre vie collective. Ces tabous ont nom entre autres : « Concorde », l’argent que l’on gagne ou que l’on possède, le droit à l’emploi, Mao, l’alcoolisme… et j’en passe. Sur tous ces sujets, les Français, cependant réputés individualistes, se révèlent obstinément conformistes. Vous ne leur ferez jamais dire tout haut que le Concorde est invendable et que les 14 milliards qu’il a coûtés aux contribuables auraient peut-être été mieux employés ailleurs ; jamais ils ne vous avoueront ni ce qu’ils gagent, tous avantages catégoriels compris, ni le montant exact de leur patrimoine ; ils parleront plus volontiers de l’excellence de nos vins qu’ils ne voudront regarder en face les effroyables ravages et le coût de l’alcoolisme. Sur tous ces sujets et sur combien d’autres, ils n’écouteront que ce qu’ils veulent entendre, ils ne regarderont que ce qu’ils veulent voir, ils ne diront que ce qu’il est décent de dire.
On estimera peut-être celle analyse de la société française quelque peu superficielle. Mais elle peut servir de point de départ — François de Closets nous le prouve — pour découvrir et pour démontrer un certain nombre de points de blocage de notre vie nationale, les uns permanents, les autres conjoncturels, qui empêchent notre pays de tenir son rang et d’accéder à ce « Bonheur en plus » (c’est le titre d’un livre précédent du même auteur) qui n’est cependant pas hors de notre portée, loin de là.
Les problèmes que découvre François de Closets en cherchant à dépister tous ces tabous et à mesurer leurs incidences sont souvent complexes et difficiles, car il ne s’agit plus seulement de faire appel à une psychologie plus ou moins impressionniste, mais d’utiliser l’arsenal complet des théories économiques et scientifiques les plus récentes. Très bien informé et excellent vulgarisateur, François de Closets est tout à fait à l’aise dans cet exercice, sans jamais se montrer ni pédant, ni ennuyeux. Il utilise habilement l’anecdote, non pour elle-même, mais pour étayer ses démonstrations. Il serait souhaitable que ses conclusions soient prises au sérieux et que chaque Français se persuade bien, pour une fois, que c’est de lui qu’on parle, et que c’est lui qui est en cause et non pas les autres. ♦