L’Afrique du sud en sursis / Cap sud, le pivot africain
Voici deux livres aux points de vue diamétralement opposés. Au foisonnement de la documentation du premier correspond la rigueur des raisonnements du second. Le pouvoir blanc en Afrique du Sud est sur le déclin, nous affirme Marianne Cornevin. En conséquence, semble répliquer Jacques Leguèbe, les intérêts de l’Occident sont menacés, n’oublions par l’affaire angolaise avec l’intervention soviéto-cubaine. L’un est une analyse fouillée de la situation actuelle dans la République sud-africaine ; l’autre un panorama de l’évolution en cours dans toute l’Afrique australe et même centrale. Non seulement les intentions des deux auteurs diffèrent mais aussi le champ d’application de leur étude.
Si Jacques Leguèbe se place délibérément à un point de vue stratégique. Marianne Cornevin nous livre un examen sociologique fort approfondi. Elle s’attache à remettre en cause bien des préjugés : non, les Blancs ne sont pas venus en Afrique du Sud avant les Noirs, le grand Trek n’a pas eu lieu dans un paysage inhabité. Il n’y a pas eu simultanéité des migrations blanches et noires. Le Transvaal était notamment occupé dès le Ve siècle de notre ère. Il est faux, nous assure également l’auteur, que la loi de 1913 instituant les « homelands » visait à protéger les Noirs. On pourra juger un peu succincte les preuves avancées en la matière. Le même reproche ne peut atteindre l’ensemble du volume. Marianne Cornevin analyse systématiquement les conditions de vie de chacun des groupes formant l’Afrique du Sud : Blancs, Noirs, Métis, Indiens. Elle prend ensuite du champ pour nous présenter les rapports de force, la vitalité économique du pays (non exempte de faiblesses dues aux structures sociales), son exceptionnelle position stratégique… Les conclusions sont peu optimistes : « la haine des Blancs répond à la haine des Noirs et la cassure entre les deux communautés s’élargira encore au fil des années en dépit des concessions… » L’auteur conteste le bien-fondé de la politique des homelands, il n’ôte pas au peuple afrikaner son « africanité » et nous affirme que la destruction des valeurs que représente ce peuple marquerait la fin du rôle de tout Blanc en Afrique du Sud. Marianne Cornevin pose finalement cette question : « Lorsque les Noirs d’Afrique du Sud les appelleront au secours, que feront les États africains unanimes contre le régime d’apartheid mais divisés contre le communisme ? »
C’est là une hypothèse qui nous ramène au livre de Jacques Leguèbe. À ses yeux, en effet, l’Afrique du Sud est « un pays engagé dans une entreprise dont la réussite peut assurer la paix et la prospérité du continent tout entier, dont l’échec plongerait l’Afrique australe dans le plus affreux des drames et le plus injuste ». C’est assez annoncer la couleur. Pour l’auteur, il est indéniable que la République sud-africaine fait corps avec l’Occident et qu’elle pourrait bien être son lien organique le plus précieux avec le continent noir. De plus, fait-il observer, l’Afrique australe est devenue une poudrière et c’est dans cette optique qu’il passe en revue tous les pays de la région : Il y décèle les voies de la subversion, dénonce la contagion angolaise. Bien sûr, admet-il, aucun Africain ne peut approuver la discrimination raciale, mais ce qui risque de se passer en Afrique australe ne peut « manquer de semer le doute dans l’esprit des chefs d’État africains qui n’ont pas vendu leur peuple (au communisme) ». D’où la nécessité du dialogue tel qu’il a été engagé entre Pretoria et Abidjan, notamment. « Le salut de l’Afrique du Sud représente une condition de vie ou de mort pour l’Occident… Une course de vitesse est engagée qui met en cause non pas seulement les destinées de l’Afrique du Sud et d’un continent austral dont par vocation elle est le centre nerveux et musculaire, mais encore celles de l’Europe, mesurées, aux risques que l’Union soviétique croira pouvoir prendre pour en faire un satellite obéissant ». Tel est l’enjeu dont Jacques Leguèbe s’applique à nous faire prendre conscience tout au long de pages au style net, sans recherches avec parfois des raccourcis hasardeux. Un livre pour nous inciter à ne pas courber l’échine. ♦