On pouvait éviter la guerre d’Indochine
Cette sorte de déclaration liminaire, quelque peu péremptoire, qui sert de titre au petit ouvrage de Claude de Boisanger, (en fait une plaquette, plutôt qu’un livre) est heureusement atténuée et explicitée par un sous-titre plus modeste : Souvenirs 1941-1945, qui répond mieux, sinon peut-être au dessein de l’auteur, du moins à la curiosité du lecteur. En effet, si l’on a beaucoup écrit ces dernières années sur l’Indochine en guerre, force est de constater que les témoignages vécus, sérieux, documentés et objectifs sur la période précédente, au cours de laquelle ce pays s’est trouvé coupé de la métropole, sont rares ou manquent de sérénité, quand il s’agit, par exemple, du plaidoyer pro domo de l’amiral Decoux.
Claude de Boisanger, qui fut conseiller diplomatique de ce dernier, apporte un certain nombre de précisions importantes et inédites sur les véritables raisons de l’attitude adoptée par le Gouverneur général tant vis-à-vis de Vichy et plus tard de la France Libre que vis-à-vis des Japonais et des Alliés. Le fait est que la politique de l’autorité sur place a été mal comprise et fortement contestée par celle qui lui a succédé. Et cependant, estime Claude de Boisanger, elle avait su créer une situation qui, si elle avait été intelligemment exploitée, aurait pu enlever aux Japonais tout prétexte et peut-être même toute raison pour la rupture brutale du 9 mars 1945. À partir du moment où le Gouvernement provisoire d’Alger eut décidé, malgré les éclaircissements et les avertissements des émissaires qui lui furent dépêchés d’Indochine, d’opposer à l’autorité de l’amiral Decoux une sorte de contre-pouvoir « résistant » animé par le général Mordant, le coup de force japonais devenait inévitable. Et c’est ce coup de force, en nous affaiblissant et en nous humiliant aux yeux des populations locales, qui a permis aux révolutionnaires vietnamiens de se regrouper et de passer à l’action violente.
C’est cet enchaînement et ce mécanisme, tels qu’ils pouvaient être perçus au niveau du Gouvernement général, que Claude de Boisanger s’efforce de démonter, sans passion (en tant que diplomate, il n’avait aucun passé colonial), mais aussi sans complaisance. Mais l’objectivité incontestable de son témoignage et la force de sa conviction ne sont pas suffisantes, à notre avis, pour fonder un quelconque diagnostic sur ce qui se serait passé SI… « Peut-être ben que oui, peut-être ben que non », a répondu depuis longtemps la sagesse populaire. ♦