L’amiral Canaris entre Franco et Hitler
Cet ouvrage du critique Léon Papeleux a toutes les caractéristiques et tous les mérites d’une recherche historique documentée et scrupuleuse, qui sait s’attacher aux faits, jauger leur importance et les situer dans leur contexte, tout en restant attentive aux motivations et à la psychologie des personnages qui ont joué un rôle dans leur enchaînement.
Le sujet choisi par cet éminent spécialiste belge de la 2nde Guerre Mondiale est centré sur un épisode assez mal connu, surtout en France, des relations germano-espagnoles de la fin de l’année 1940, lorsque s’est posé pour Franco le problème de la neutralité de son pays dans le conflit et, pour Hitler, celui de l’opportunité, après la défaite militaire de la France, de porter la guerre en Méditerranée en s’attaquant à Gibraltar.
Il se trouve que le personnage qui s’est situé au centre des négociations aussi bien diplomatiques que militaires entre les deux dictateurs n’était autre que le très mystérieux chef de l’Abwehr – les services secrets militaires allemands – l’amiral Wilhelm Canaris, qui devait plus tard être accusé de trahison et périr dans la purge consécutive à l’attentat du 20 mai 1944 contre Hitler.
Canaris était un grand spécialiste de l’Espagne dont il parlait parfaitement la langue, où il avait fait de multiples séjours, en particulier au cours de la guerre civile, et où il avait su lier des relations amicales et confiantes avec le haut personnel politique et militaire, y compris avec Franco lui-même. Hitler, qui affectionnait la diplomatie parallèle et les entorses à la hiérarchie, confia à Canaris non seulement la tâche d’être son porte-parole auprès de Franco, mais aussi celle de coordonner et de suivre les innombrables reconnaissances d’état-major auxquelles donnait lieu le célèbre plan Félix d’attaque contre Gibraltar à travers l’Espagne. Léon Papeleux est arrivé à reconstituer avec une très grande minutie tous les aspects de l’activité de Canaris au cours de cette période, sans négliger d’ailleurs l’entreprise plus normale et plus logique, qui consistait à faire de l’Espagne la principale plate-forme du renseignement allemand vers l’extérieur. Il arrive à la conclusion que la façon dont Canaris rendait compte de ses missions successives, inspirée à la fois par son profond attachement à l’Espagne et par une compréhension lucide des intérêts de son propre pays, avait fini par influencer Hitler et par l’amener, comme semble l’avoir souhaité Canaris, à renoncer au plan Félix et à se désintéresser d’une collaboration avec le trop « subtil galicien ».
On imagine facilement toutes les péripéties passionnantes que Léon Papeleux est en mesure d’évoquer au cours de son récit. Mais l’intérêt de son ouvrage tient aussi à la description très vivante de l’Espagne de Franco pendant la Guerre : ses difficultés économiques, les hésitations de l’opinion sur l’attitude à adopter vis-à-vis de l’Allemagne, l’état d’esprit des différentes classes sociales…
Une très bonne étude d’histoire diplomatique et militaire, saupoudrée d’espionnage. ♦