L’illusion de la détente
Ce qui frappera d’abord le lecteur dans cet ouvrage dû à un ancien élève de l’Institut d’études politiques (IEP) de Paris, aujourd’hui professeur de relations internationales à ce même Institut, c’est d’abord la rigueur d’esprit et la clarté de l’exposé. On y reconnaîtra la marque que l’École imprime en ses élèves. Mais ce n’est pas seulement par sa forme que l’étude attire l’attention, c’est aussi et surtout par son fond.
Refusant les conventions intellectuelles à la mode qui célèbrent aveuglément la « détente », Patrick Wajsman la démystifie, démonte tout le mécanisme historique et politique sur lequel, depuis l’époque khrouchtchévienne reposent les relations Est-Ouest.
Il veut ainsi démontrer que la détente est utilisée par l’URSS à des fins essentiellement « tactiques » et que les traités conclus avec l’Ouest depuis 1970 ne sont pas des « indices de la pureté de ses intentions ». En effet, selon l’auteur, la négociation avec le bloc capitaliste n’est pour le Kremlin qu’« une façon particulière de contester l’existence de l’ordre capitaliste », et les Occidentaux sont dans l’erreur lorsqu’ils s’imaginent que la détente « change » l’URSS. C’est avec beaucoup d’esprit qu’il dénonce cet attachement des pays du bloc occidental à l’importance de l’atmosphère des négociations avec l’Est aux dépens de leur contenu. Il ironise – avec raison – sur la célébration de l’« esprit de Genève » en 1955, l’« esprit de Camp David » en 1959 et l’« esprit de Helsinki » en 1975 pour montrer comment, par la suite, les événements de Suez, le mur de Berlin, la maigreur des résultats de la CSCE et la répression des intellectuels en URSS devraient nous apprendre que l’important, dans les relations avec les pays socialistes, n’est pas de négocier, mais ce qu’on négocie.
Ainsi, après avoir décrit le facteur idéologique permanent à la base de la diplomatie soviétique (et qui explique en partie l’ambiguïté des relations avec l’Ouest). Patrick Wajsman analyse les grandes étapes de la « détente » (l’Ostpolitik de la RFA, la CSCE, les négociations SALT et MBFR). Au terme de cette étude, il souligne les données de l’insécurité en Europe occidentale, apprécie le poids effectif de la menace militaire soviétique compte tenu du caractère, selon lui aléatoire, de la protection américaine. Il propose alors des remèdes à cette insécurité. Plutôt que d’espérer d’une coopération nucléaire franco-britannique les moyens de la dissuasion contre l’URSS, Patrick Wajsman voit dans le renforcement de la solidarité européenne au niveau de la défense conventionnelle le seul moyen permettant de subsister.
On ne s’étonnera pas qu’il ne propose aucun nouveau système, aucun nouveau « plan ». Réaliste avant tout, il voit bien qu’en l’absence d’une cohésion politique européenne, aucune proposition nouvelle n’est praticable dans l’immédiat. Il « plaide plus modestement pour le statu quo institutionnel » car c’est avant tout « d’une nouvelle perception des rapports internationaux que peuvent surgir les progrès ».
Très solidement documenté, l’ouvrage de Patrick Wajsman mérite de retenir toute notre attention tant par le contenu de son analyse que par les méthodes d’approche du problème. ♦