Le livre blanc sur la défense japonaise 1976
La publication en 1976 d’un livre blanc sur la défense japonaise intervient dans un esprit bien différent de celui qui avait inspiré la même initiative en 1970. Entre ces deux dates, le parti libéral démocrate a perdu de sa toute-puissance et ne cherche plus à imposer une conception activiste de la défense telle que l’imaginait six ans plus tôt M. Nakasone.
Signataire du Livre blanc 1976, M. Sakata s’est proposé une démarche inverse : présenter franchement les enjeux du problème, susciter parmi l’opinion commentaires et critiques et les évaluer pour refléter les courants majoritaires dans les orientations choisies.
Le ministre est d’autant plus libre de fixer une telle ligne de conduite que l’attitude du peuple nippon à l’égard de sa défense a changé. Impressionné par les événements d’Indochine et de Corée, le Japonais est plus acquis, dans l’ensemble, à l’existence d’une force armée nationale, même s’il subsiste quelque ambiguïté sur le rôle qu’elle doit jouer. Selon les chiffres retenus par l’Agence de Défense, 79 % des Japonais sont favorables au maintien des « Jieitai » mais 34 % d’entre eux leur assignent comme mission principale celle d’un corps de protection civile.
Dans ses considérants le livre blanc trace un tableau pessimiste de la situation internationale. Les relations entre les deux grandes puissances ne conduiront selon lui qu’à une détente relative, limitée au seul désir d’éviter la guerre nucléaire. Les négociations SALT et MBFR n’ont guère de chances d’aboutir à des résultats significatifs. L’ONU ne pourra jamais parer efficacement aux conflits à prévoir sur tous les théâtres où s’opposent indirectement les rivalités des grands États (Afrique. Moyen-Orient…).
Autour du Japon lui-même l’étau ne se relâche pas. La force soviétique d’Extrême-Orient a pris des dimensions inquiétantes et exerce une pression insidieuse sur le pays (l’armée de l’air effectue en moyenne 320 missions par an pour intercepter et identifier des bombardiers soviétiques dans l’espace aérien nippon). La confrontation sino-soviétique reste vive tandis qu’en Corée l’incident grave peut, à tout instant, éclater.
Ce tableau des risques dépasse les capacités actuelles du Japon. Aussi le traité de sécurité nippo-américain reste-t-il la pierre angulaire de la sécurité de l’archipel et ce d’autant plus que le gouvernement rejette l’option nucléaire.
Dans ce cadre général, le Japon doit pouvoir faire face par lui-même, non pas à une agression généralisée dont l’éventualité est exclue, mais à une attaque surprise de faible envergure. C’est l’intérêt du livre blanc que de définir la « Force standard de Défense » qui suffira à la repousser ou mieux à dissuader l’ennemi potentiel de se lancer dans l’aventure.
L’Agence estime qu’une armée de 270 000 hommes bien équipée en aéronefs et bâtiments de guerre correspond à cet objectif. Son emploi devra être compatible avec l’organisation des forces américaines et une coopération des états-majors sera développée au sein des organismes existants.
Le livre blanc présente donc de l’armée nippone un visage tout à fait rassurant. Il ne faut surtout pas effaroucher l’opinion publique et encore moins celle des pays asiatiques qui ont jadis fait l’expérience de la férule de l’ex-armée impériale.
Mais il convient d’apercevoir, derrière la façade, tous les progrès qu’a réalisés l’idée militaire :
– Elle a écarté peu à peu, grâce à des arguties juridiques, l’obstacle constitutionnel. Deux affaires sont en cours dont la Cour suprême sera saisie. Composée de magistrats nommés par le Cabinet, cette instance saura probablement légaliser la conception d’une armée « strictement défensive », résultat qui n’aurait jamais pu être atteint, par la procédure normale de révision constitutionnelle. Les tribunaux japonais s’arrogent un pouvoir constituant.
– Elle dispose à moindres frais (moins de 1 % du PNB) d’un outil moderne dont l’équipement devra suivre toute évolution technologique de manière que l’énorme potentiel industriel du Japon reste familiarisé avec les fabrications d’armement.
– Elle a formé enfin une armée de cadres (très fort pourcentage d’officiers et sous-officiers) capable de commander, si besoin était, à des effectifs décuplés.
Bref, qui ne serait tenté, dans ces conditions, d’établir un parallèle avec l’armée allemande des années 1925-1930… ? ♦