The Arms Trade and International Systems
Alors que le commerce des armes ne retenait guère l’attention au lendemain de la seconde guerre mondiale et que les rédacteurs de la Charte des Nations unies avaient omis d’en prévoir la réglementation, le phénomène suscite de nos jours un intérêt croissant. L’expansion du volume des transactions, le rôle majeur joué par les ventes d’armes dans la politique des États et les risques de déstabilisation et de conflits pouvant résulter de l’injection massive de matériels de guerre dans le Tiers-Monde sont autant de facteurs qui expliquent l’abondance de la littérature consacrée au sujet et le caractère passionné des débats sur les « marchands de canons ».
En France, où l’industrie d’armement est plus qu’ailleurs tributaire des marchés extérieurs et où l’on commence de prendre conscience des aléas de la compétition commerciale dans un monde où la demande n’est pas indéfiniment extensible, la question se pose avec acuité. Toutefois, les prises de position publiques sur ce sujet sont généralement empreintes de moralisme ou reflètent des préoccupations conjoncturelles, de sorte que les arguments échangés de part et d’autre ne permettent pas de se faire une opinion fondée sur les mécanismes des transferts d’armements, les motivations des parties contractantes et les possibilités de réglementation internationale. Quant aux études parues dans notre pays sur le commerce des armes, force est de convenir que sauf exception, elles ne dépassent guère le stade de la dénonciation partisane ou du reportage à sensation. C’est donc à la littérature étrangère qu’il faut recourir pour étudier le phénomène dans toute son ampleur et sous tous ses aspects et, à cet égard, le livre de M. Harkavy constitue un ouvrage de référence précieux qu’on ne saurait trop recommander à tous ceux qui s’intéressent au problème et à ses implications internationales.
Fruit d’une recherche en vue de l’obtention du doctorat de Science politique (PhD.) dans le cadre de l’Université de Yale, le livre de M. Harkavy offre toutes garanties au lecteur quant à la sûreté de l’information et à la rigueur de l’analyse. Certes, l’auteur aborde son sujet avec les présupposés et les méthodes de l’analyse systémique et son propos est de brosser un tableau cohérent du système international du commerce des armes en analysant toutes les variables, dépendantes et indépendantes, qui le constituent. C’est ainsi qu’il est conduit à examiner successivement le comportement des fournisseurs d’armements et leurs moyens d’action, le type de relations qui s’établit entre le vendeur et l’acheteur, les modes de transfert d’armements et le degré plus ou moins grand d’autonomie des États en ce qui concerne la production et l’acquisition de matériels de guerre. Par ailleurs, les transactions d’armements ne sont jamais isolées de leur contexte international et M. Harkavy s’attache à mesurer l’incidence de variables indépendantes telles que l’existence et la structure des alliances, les affinités idéologiques des acteurs, le contrôle de la fabrication et du commerce des armes par les pouvoirs publics et le rythme des innovations technologiques. La prise en compte de tous ces facteurs et l’analyse de leurs interactions lui permet de dégager les traits dominants du commerce des armes depuis la fin de la première guerre mondiale et de comparer la situation qui prévalait entre les deux guerres avec le système qui s’est établi au cours des trente dernières années.
Si, après 1945, la prépondérance du facteur idéologique et la constitution d’alliances militaires autour des pôles soviétique et américain ont conditionné le comportement des vendeurs et des acheteurs d’armements et déterminé l’orientation des courants d’échanges, il semble bien qu’à l’heure actuelle le système se caractérise par une plus grande fluidité du fait de l’entrée en scène de nouveaux vendeurs, du développement d’industries locales, de l’accroissement de la demande de matériels de grande performance et de l’enrichissement des pays producteurs de pétrole du Moyen-Orient. Toutefois, cette tendance ne semble pas devoir remettre en question la novation qui s’est produite vers la fin des années 30, à savoir la substitution progressive de la puissance publique aux entreprises privées qui ne jouent plus qu’un rôle marginal dans la fabrication et la commercialisation des matériels de guerre. Par ailleurs, le coût de la recherche et du développement des armements modernes a favorisé la concentration de leur production dans quelques États industrialisés de l’hémisphère Nord et, en dépit des efforts consentis par les puissances petites et moyennes pour créer des industries d’armement concurrentes, il est probable qu’elles ne parviendront pas à combler l’écart qui les sépare des Grands.
Au terme d’une analyse rigoureuse, fondée sur une exploitation systématique de toutes les données accessibles aux États-Unis et cautionnée par les meilleurs experts d’outre-Atlantique qui ne lui ont pas ménagé leur concours. M. Harkavy en vient à examiner les chances d’une réglementation internationale du commerce des armes. Passant en revue les expériences du passé et les tentatives récentes, il aboutit à la conclusion que l’entreprise est aléatoire et qu’il ne faut pas nourrir trop d’illusions sur l’efficacité des mesures que pourraient prendre les États pour réduire les effets négatifs des ventes d’armes. La publicité des transactions, telle qu’elle a été pratiquée entre les deux guerres sous l’égide de la SDN, n’a pas eu les vertus qu’on lui prêtait à l’origine et l’on sait que des propositions analogues, présentées par Malle et le Danemark dans les années 1960, se sont heurtées à l’hostilité conjuguée des vendeurs et des acheteurs. Les embargos édictés par les organisations internationales n’ont jamais rallié l’unanimité des suffrages, et ceux décidés par certains États à rencontre des pays du champ de bataille ou d’une zone de tension n’ont jamais empêché l’approvisionnement en matériel de guerre des belligérants ou des parias qui trouvaient aisément d’autres fournisseurs. Enfin les essais de réglementation des ventes d’armes dans un cadre régional ont toutes échoué, soit que les acheteurs aient récusé cette mise en tutelle par le vendeur prépondérant (les États-Unis ou l’Amérique latine), soit que l’équilibre établi par certains vendeurs ait été rompu par l’intrusion d’une tierce partie dans ce qui était leur chasse gardée (l’URSS au Moyen-Orient à la faveur d’un contrat d’armements avec l’Égypte en 1955). Quant aux contraintes que les États s’imposeraient spontanément dans ce domaine, M. Harkavy en souligne les limites du fait des pressions de tous ordres auxquels ils sont exposés et qui vont toutes dans le sens de l’expansion des ventes d’armes.
L’objet du livre de M. Harkavy est de dégager la logique du commerce des armes en tant que système international et de montrer qu’on ne peut remédier à ses inconvénients qu’en agissant au plan de la prévention des conflits et de l’organisation de la sécurité sur des bases autres que celles de la politique de puissance et de la course aux armements. À cet égard, il contribuera à dissiper les illusions réformistes d’une réglementation fondée sur la concertation des principaux producteurs, qui tenteraient de canaliser les flux d’armements, voire d’empêcher les courses régionales aux armements, mais sans renoncer pour autant aux bénéfices politiques et économiques découlant de leur position privilégiée. Toutefois si The Arms Trade and International Systems fournit à l’occasion des arguments pour les débats en cours, sa visée est avant tout scientifique et le propos de l’auteur est de fournir une grille pour la lecture de ce phénomène complexe et fluctuant que constitue le commerce international des armes. Certes, tous les aspects du problème ne sont pas évoqués et ne pouvaient pas l’être mais, par la sûreté et l’abondance des données rassemblées, la clarté de l’exposition et la rigueur de la méthode, la gageure de l’auteur a été tenue et il ne sera plus possible de traiter du commerce des armes ou de pousser plus avant les recherches dans ce domaine sans se référer à cet ouvrage fondamental. ♦