Le septennat de Poincaré
Les ouvrages consacrés à l’histoire et à la vie politique de la France entre 1910 et 1920 laissent fréquemment dans l’ombre le personnage de Poincaré, comme si les événements prenaient le pas sur les acteurs.
Mais d’autres raisons s’y ajoutent, tenant à la personnalité du président de la République et que Georges Wormser – qui fut chef de cabinet de Clemenceau – s’attache à mettre en lumière et à expliquer.
Suivant minutieusement les détails successifs de la carrière présidentielle de Poincaré de février 1913 à février 1920 et se fondant sur la base d’une expérience personnelle et de nombreux documents originaux, souvent inédits, l’auteur nous donne du chef de l’État un portrait qu’il s’efforce de rendre objectif et projette sur les événements politiques intérieurs et internationaux un nouvel éclairage proche de celui de la chronique. Mais si les événements sont décrits avec une minutie presque journalistique, c’est dans un style clair et pur, comme on n’en lit plus désormais que rarement, dépourvu de tout cliché et de ces expressions toutes faites qui abondent même dans les livres dits scientifiques.
À côté de ces qualités de forme, c’est sur le fond que le lecteur s’arrêtera et notamment sur quelques moments décisifs de l’histoire de la France. La visite de Poincaré en Russie à la veille de la guerre, voyage dont l’opportunité fut souvent critiquée, les relations de Poincaré avec Aristide Briand, puis T. Ribot, mais surtout avec Clemenceau comptent au nombre des points que l’auteur s’efforce d’interpréter et de justifier.
Ainsi étudie-t-il en détail l’hostilité croissante qui opposa Poincaré à Clemenceau, une rivalité faite de jalousie mais aussi d’une incompatibilité foncière entre les deux caractères.
La politique de la France face à la question de l’Armistice et de l’occupation de la rive gauche du Rhin sont les deux autres questions que Georges Wormser s’attache à analyser.
C’est à ce propos qu’il convient de mentionner l’une des préoccupations constantes de Poincaré : celle de la faiblesse des pouvoirs qu’il détenait : « président de la République = zéro » écrit-il dans Au service de la France. Dans quelle mesure fut-il alors le responsable de la politique de la France ? Dès son arrivée à la présidence il déplore n’avoir « aucun pouvoir réel et sous la fiction de l’irresponsabilité », porter « de graves responsabilités morales ». Georges Wormser souligne cette incompatibilité entre l’homme qui se voulait d’action et une fonction qui n’était alors que de représentation.
Cette situation explique qu’il fut souvent mal jugé par ses compatriotes. Mais l’auteur estime par ailleurs que si Poincaré n’eut « ni toute l’audience ni toute l’autorité qu’il eût pu posséder par plus d’élévation », c’est parce qu’il fut trop respectueux des formes et peut-être « pas suffisamment démocrate ».
À l’appui de cette thèse, Georges Wormser cite une réflexion de Poincaré : « La France a commis une faute irréparable le jour où elle a guillotiné Louis XVI ». Il aurait également déclaré à Paléologue que « s’il lui avait fallu choisir entre les Orléans et la branche aînée, il eût préféré Henri V », la monarchie absolue lui paraissant préférable à la monarchie constitutionnelle.
L’ouvrage est, on le voit, une approche originale, vécue et mûre, de la vie politique française pendant le septennat de Poincaré. Faisant peu de cas des modes actuelles, il constitue une indispensable contribution à la connaissance du personnage, même s’il ne cherche pas à en faire un « grand homme » qui aurait marqué son temps et la politique de son pays. ♦