Le socialisme sans visage. L’avènement du Tiers Modèle
Thomas Molnar nous brosse de l’avenir du monde un sombre tableau où l’on verra l’homme écrasé par un appareil politique tentaculaire. Constatant que tous les nouveaux régimes, qu’ils apparaissent en Occident, comme celui du Portugal, ou dans le Tiers-Monde, comme celui du Pérou, ne se réfèrent ni à la démocratie libérale ni au marxisme « orthodoxe », il cherche à analyser les causes de cette désaffection.
L’usure de l’État démocratique libéral où l’homme est devenu incroyant – pour son malheur – est la conséquence de la « stérilité » progressive des institutions et de la pensée politique. Il en résulte un désintéressement des citoyens pour « leur » régime tandis que l’État envahit toutes les sphères d’action, ce qu’aucune « science politique » ne devrait justifier, sous prétexte de l’expliquer.
À cette occasion, Thomas Molnar dénonce la théorie de Cari Schmitt sur l’État libéral ainsi que l’apparition des « néo-féodalités » c’est-à-dire de ces systèmes d’autogestion et de cogestion dont l’effet est, selon lui, démoralisant pour tous et qui renforce la symbiose État-syndicat-entreprise empire féodal tout-puissant dans la société industrielle.
Le « Tiers Modèle » qui émerge alors, « socialisme sans visage », est un régime militarisé et monolithique à « parti » unique où l’État a le pas sur la société civile.
Le rôle politique de l’armée, qui n’a cessé de croître dans le monde depuis 1920, sera ainsi consacré. Les militaires perdront leurs vertus et seront déchirés par leurs tâches et leurs ambitions politiques à l’intérieur d’un pouvoir que les civils ne seront plus capables de revendiquer.
Ces régimes si menaçants ne sont cependant pas infaillibles car des dangers les guettent : la dissension au sommet, la carence des cadres et les forces centrifuges nationales. Seuls les pays à forte et longue tradition bureaucratique et administrative, comme les pays occidentaux ou l’URSS et la Chine, pourraient surmonter les crises que traverseraient leurs régimes.
Thomas Molnar ne doute pas que l’Occident soit « prêt à suivre le reste du monde en direction du monolithisme » et il ne semble guère croire que la culture et la tradition politique démocratique occidentales soient de taille à lui permettre d’éviter la catastrophe, les masses étant « amorphes » et la structure démocrate libérale « utopique ».
Dans son dernier chapitre, « Reconceptualiser la politique », l’auteur ne propose pas de solution, il constate simplement, que lorsque l’homme est dominé par le politique, quand l’État accapare toute la dimension de la vie humaine, surgit la menace du « socialisme sans visage », du monolithisme.
Il proclame en effet, et cette idée revient tout au long du livre, sous différents aspects, qu’il y a dans l’homme « une dimension transcendante » dont on ne peut le mutiler. Aussi ne peut-on parler de l’État sans faire intervenir cette dimension qui ne lui appartient pas et sans laquelle l’État serait un « rouleau compresseur ». Nous ne changeons pas d’histoire, l’homme ne change pas, « il a ses racines dans le transcendant », malgré ses tentatives de désacralisation. L’homme devra donc adapter le « Tiers Modèle » à cette dimension sans pour autant retomber dans les excès de la doctrine chrétienne qui proposait une éthique dualiste (le Prince face à l’Église). Une nouvelle « civilisation » et une nouvelle « distribution politique » se préparent d’où la coexistence de deux lois, la loi naturelle et la loi positive, ne serait pas exclue. ♦