De Gaulle et l’Armée
L’auteur nous avait déjà donné, il y a quelque cinq ou six ans, un De Gaulle et l’Histoire de France. C’était le livre des concordances. L’étude qu’il nous livre aujourd’hui n’est en rien le développement d’une des thèses précédemment avancées : elle expose, analyse et veut expliquer les rapports du général de Gaulle avec l’armée, depuis son premier livre jusqu’au retrait de la France de l’Otan. Voici donc le livre d’une longue mésentente.
Ces pages sont d’un historien et non d’un doctrinaire. Les spéculations théoriques y sont fort rares même lorsqu’il s’agit d’éclairer la pensée de l’ancien chef de l’État. Le texte, la réaction prise sur le vif par des témoins, voire la boutade, sont là pour étayer le raisonnement. Au reste, de Gaulle n’avait-il pas bien moins souci d’une doctrine que d’une parfaite adaptation aux circonstances ? Il était « l’homme des grands desseins inflexiblement poursuivis, mais des moyens sans cesse renouvelés, mis à jour et même répondant à ce que sera demain ». L’innovation chez lui ne sera donc jamais le fruit de considérations idéologiques mais bien de l’histoire. Faute d’un tracé théorique, bien des erreurs de cap peuvent être commises, dira-t-on. Mais chez de Gaulle la passion exclusive des intérêts de la France élimina de telles erreurs. Elles furent le fait de tous ceux qui s’enfermèrent dans le corset des idées officielles et Edmond Pognon met beaucoup de minutie à nous le prouver. La discipline, nous dit-il, fut souvent aux yeux du général de Gaulle la voie de la désillusion. Trop souvent elle a relégué dans l’ombre la véritable vocation de l’armée française.
On pourra arguer sur la valeur de telles appréciations. En définitive tout dépend de la qualité, du mérite des chefs. Ceux auxquels de Gaulle, tout au long de sa vie, eut à s’affronter étaient-ils si médiocres ? II serait outré de le prétendre mais ils se cantonnaient dans l’obéissance au Pouvoir et comme devait le dire le Général un jour : « les pouvoirs publics n’ont pas joué ». Cette remarque a trait à « l’affaire des fuites » mettant en cause les généraux Revers et Mast en 1950. Le même jugement peut viser les responsables de notre politique avant la guerre. Peut-on alors tenir rigueur à des citoyens de n’avoir pas été à la hauteur dès lors que l’État lui-même était défaillant ? Toujours est-il que pour le général de Gaulle il était évident que la volonté politique dispose d’une suprématie de droit sur l’instrument militaire. D’où son acharnement à Londres à ne pas être uniquement le chef d’un simple contingent français. Edmond Pognon insiste, dans ce livre comme dans le précédent, sur la légitimité du Général en tant que chef d’État.
Tout cela avait, bien sûr, de quoi irriter nombre de dirigeants militaires d’autant que de Gaulle n’était pas enclin à composer. Dans son dernier chapitre, ce livre résume fort clairement les différentes étapes d’une mésentente dont l’ultime phase ne fut pas, comme on peut le penser, la rébellion du « quarteron » d’Alger. Il n’en demeure pas moins qu’au-delà de ces obstacles le général de Gaulle aura fourni au pays l’outil d’une défense moderne et restauré l’État. Edmond Pognon nous montre au fil de ces pages que la tâche était fort loin d’être aisée. ♦