À l’échelle humaine
M. Léon Blum, dont la pensée et la doctrine politique se sont exprimées, au cours d’une très longue carrière, en d’innombrables articles quotidiens, n’a guère eu le loisir d’écrire des livres.
On lui doit cependant d’intéressants ouvrages intitulés : Souvenirs sur l’Affaire ; L’exercice du pouvoir ; Nouvelles conversations de Gœthe avec Eckermann.
Il a fallu le hasard, malheureux pour son auteur, d’une longue captivité d’abord en France, puis en Allemagne, pour que cette trop brève série se soit enrichie d’un livre véritablement essentiel. L’auteur, assure son préfacier, qui n’est autre que son intime ami Bracke (A. M. Desrousseaux), avait, d’abord, égrainé la chaîne de ses réflexions à Bourassol, avant de leur donner une forme définitive au Portalet.
Quelques épreuves dactylographiées avaient circulé, mais ne s’étaient répandues que dans un public très restreint. Le livre qui paraît en fournit la version définitive, telle qu’elle fut dressée au mois de décembre 1941. C’est une œuvre de bonne foi, de réflexions impartiales et toujours sereines. Sans nier les erreurs qui conduisirent la France à la guerre de 1870 et à la défaite initiale, – la présomption, le manque d’application sérieuse devant les objets sérieux, l’altération de la probité et du scrupule dans les affaires, l’avidité d’argent et l’avidité de jouissance, la contagion du luxe, de l’ostentation, et, par conséquent, de la corruption et de la vénalité, le relâchement des liens de la famille et le mépris affiché de la dignité domestique, – l’auteur prétend que la France d’aujourd’hui n’a pas le droit de rendre, comme en 1871, le régime constitutionnel responsable de son désastre : « L’Empire avait été coupable, la République n’a été que malheureuse. »
Elle est juste et féconde dans son principe, qui est le gouvernement du peuple par lui-même ; elle n’a erré que par des vices d’organisation et de fonctionnement, auxquels il est facile de trouver le remède.
Pour l’auteur, les troubles politiques, qui se succédèrent en France, ne marquent pas les méfaits d’un virus malsain introduit par la Révolution démocratique dans le corps de la Nation, mais, au contraire, les troubles de croissance que ce corps revivifié devait franchir avant d’atteindre à sa pleine et stable virilité.
Il ne s’ensuit pas, d’ailleurs, que cet optimiste fondamental entraîne M. Léon Blum à l’indulgence à l’égard de quiconque. L’armature politique de la Bourgeoisie s’est, à ses yeux, affaissée dans le désastre militaire, mais il se demande si le socialisme a fait tout son devoir, au moment où une seule et unique passion pouvait traverser comme un courant électrique le peuple français, l’agglomérer, le ranimer dans une unité vivante ; c’était la passion patriotique, l’instinct de la conservation nationale. Il est le premier à reconnaître son attitude contrainte et équivoque, depuis Munich vis-à-vis du problème de la guerre ; de plus, le parti était atteint, ou plutôt compromis, par sa collaboration récente avec le communisme.
M. Léon Blum espère du reste que ce dernier, pour faire front à l’agression hitlérienne, aura dû modifier peu à peu l’esprit de son régime intérieur. Il compte fermement, quant à lui, qu’après la disparition des dictatures totalitaires, après la victoire des démocraties anglo-saxonnes – victoire à laquelle elle aura héroïquement participé, mais à laquelle elle aura dû son propre salut – la Russie se trouvera nécessairement intégrée dans une communauté, dans une fédération européenne. Elle perdra le caractère d’une puissance étrangère à l’Europe et, de son côté, le communisme français perdra celui d’une secte étrangère à la Nation.
Élevant constamment le débat, M. Léon Blum affirme, de plus en plus, sa foi dans la vitalité d’un corps international : il faut, dit-il, que de cette guerre sortent enfin des institutions internationales foncièrement solides, un pouvoir international entièrement efficace, ou bien, elle, non plus, ne sera pas la dernière.
Si l’application de la force est nécessaire pour obliger l’Allemagne à l’incorporation dans la communauté internationale, elle deviendra légitime et salutaire, comme une correction paternelle. Alors la force sera au service de la Justice et de la Paix.
« Nous travaillons, conclut l’auteur, dans le présent, et non pour le présent ; que l’homme contemple le but, qu’il se fie à son destin, quand il se trouble et se décourage, il n’a qu’à penser à l’Humanité. »