Wellington
M. Jacques Chastenet qui, au cours même de la guerre a publié deux remarquables livres, l’un consacré à William Pitt, l’autre à Godoy, prince de la paix, a, cette fois, voué son talent à une biographie du grand Anglais Wellington. De même que le livre de William Pitt évoquait des comparaisons avec la période actuelle et les moments les plus héroïques de l’histoire d’Angleterre, de même Wellington nous apparaît comme un exemple magnifique des vertus militaires de notre alliée.
L’auteur souligne, au début de son œuvre, que le grand adversaire de Napoléon naquit la même année que ce dernier. Pendant la plus grande partie de son existence il a joué des rôles considérables sur la scène du monde : rôle militaire, rôle diplomatique, rôle politique.
Aussi, le livre de Jacques Chastenet est-il plus qu’une simple biographie du vainqueur de Waterloo ; c’est comme la chronique de son temps, vu du côté anglais, et comme le pendant militaire du tableau politique de la vie britannique, brossé à l’occasion de la biographie de William Pitt. L’ouvrage est, d’ailleurs, étayé sur une documentation extrêmement solide. L’auteur a exploité toutes les sources britanniques, françaises et espagnoles ayant trait à la vie même de Wellington, et, aussi, celles qui éclairent l’histoire d’Angleterre et d’Europe aux différentes époques de son activité.
C’est une figure extrêmement pittoresque que celle de cet Anglo-Irlandais, de la grande famille des Wesley. Ce cadet de haute noblesse, élevé en pleine campagne avant de faire, en France, de brèves études où il s’initie à l’équitation, à l’escrime, à la danse et aux mathématiques, est, avant tout, un gentleman. Il deviendra, note Jacques Chastenet, un illustre soldat, mais il ne sera jamais uniquement cela. Tout le long de sa vie, les activités politiques ou administratives alterneront avec les hauts faits proprement militaires et y tiendront, finalement, plus de place qu’eux. Il appartient à un monde où toute spécialité trop affirmée apparaît entachée de vulgarité, pour lequel la politique, sous ses aspects variés, est le premier des sports, un monde, enfin, qui aime à se comparer à l’aristocratie de la Rome républicaine. Il restera fidèle à une tradition puisée dès le berceau, et sa carrière, plutôt que celle d’un grand condottiere, évoquera celle d’un patricien romain, tour à tour gouverneur de province, tribun, général et consul.
Après avoir reçu le baptême du feu dans la campagne des Flandres, dans le corps expéditionnaire hâtivement recruté pour la défense d’Ostende, en 1794, à la tête d’une bande de soldats, braves mais qualifiés par le jeune officier même « d’écume de la terre enrôlés pour boire », Wesley, qui devient Wellesley, part pour les Indes. Il y est à la fois administrateur et soldat. Il s’empare de Seringapatan et lutte contre Tippou Sahib. Mais il ne quitte pas pour cela les travaux de la paix, décide de bâtir un palais gouvernemental digne de son rang et, selon les paroles mêmes du grand impérial Lord Curzon, il élève la représentation à la hauteur d’une science exacte. C’est cependant en Europe que le futur duc de Wellington allait parvenir à la gloire et c’est dans sa lutte contre Napoléon qu’il allait acquérir sa renommée universelle. Il nous est impossible de suivre pas à pas les traces de ce guerrier solide, obstiné, réaliste. Il doit lutter contre des Français : sa stratégie est toute de prudence et d’obstination. Ce général n’a guère l’allure militaire avec son bicorne bas, sans plume, sa redingote grise, ses culottes blanches ajustées, des demi-bottes, tout cela si coquettement porté que ses hommes l’appellent le « Dandy » ou le « Beau ». On sait le succès que valut aux armées britanniques sa conception défensive, réalisée sur les fortifications de Torres Vedras, devant lesquelles le grand Masséna se déclara forfait. Bien significative est, à ce propos, la déclaration de Wellington : « Je pourrais, dit-il, infliger quand je voudrais une raclée à ces gens ; mais il m’en coûterait 10 000 hommes, et, comme mon armée est la dernière de l’Angleterre, il me faut en prendre soin. » Ce vainqueur était fort ménager des ressources britanniques. Non moins passionnantes sont les pages consacrées à la carrière de Wellington, diplomate, danseur, et qui passe, semble-t-il, tout naturellement du bal à la bataille, au moment de Waterloo. Ce n’est pas, là encore, par des traits de génie que se distingue le grand Anglais, mais plutôt par son héroïque obstination, au milieu de ses fantassins, contre lesquels se brisa l’héroïque carrousel de la cavalerie française.
La carrière de Wellington est aussi bien diplomatique et politique que militaire ; c’est à lui, et au tsar Alexandre, que la France vaincue doit d’échapper au démembrement. Ambassadeur à Paris, Wellington est partisan d’une politique indulgente à l’égard de la France monarchique. Il n’est, d’ailleurs, point pour cela, un sentimental et c’est lui-même qui procède au décrochage au Louvre des Raphaël et des Rembrandt, ou bien, posté devant l’Arc du Carrousel, à la descente des Chevaux de Venise. « Le soir, écrira Mme de Boigne, il assista à une petite fête donnée par Mme de Duras au roi de Prusse. Nous ne pouvions cacher notre indignation ; il s’en moquait et en faisait des plaisanteries. »
Après Waterloo, Wellington rentre dans l’Île, en pleine évolution économique et sociale. Serviteur confidentiel de Sa Majesté, il n’est pas de grandes délibérations gouvernementales ou de fête nationale auxquelles l’illustre duc n’apporte la contribution de sa glorieuse présence. Il se lance passagèrement dans la carrière politique, prend le portefeuille des Affaires étrangères dans un ministère Peel. Mais là n’est pas son véritable rôle : il est devenu une manière de monument national. Il meurt, entouré de gloire et de vénération de la Cour et du peuple, deux mois avant la proclamation du second Empire français, au moment où Joffre vient de naître, où Foch a un an et où Hindenburg va avoir cinq ans. C’est une figure du passé qui se dresse aux confins des deux époques, à la fois témoin d’une civilisation individualiste disparue, et exemple des qualités qui assurent encore, et assureront sans doute toujours, sinon l’éclat, du moins la solidité des empires, et, en particulier, de l’Empire britannique.