Les erreurs stratégiques de Hitler
Le lieutenant-colonel de l’armée tchécoslovaque Miksche vient de consacrer un livre fort suggestif à l’étude des erreurs qui ont entraîné la défaite totale de l’Allemagne. Le Führer avait, l’auteur le rappelle, élaboré une conception, qu’il imaginait grandiose, de la stratégie allemande. Il avait d’abord pu acquérir aux moindres frais les bases de départ indispensables à sa politique, par l’annexion de l’Autriche, de la Tchécoslovaquie et grâce aux accords de Munich. Mais, c’est à ce moment que le Führer commit une faute capitale. Il s’imagina que l’Angleterre, dont il avait éprouvé la pusillanimité à Munich, en la personne de Chamberlain, continuerait à ne pas appuyer la France dans toute opposition à ses desseins conquérants. Il se décida à prononcer contre la Pologne une menace de guerre, puis il commit l’erreur capitale d’attaquer à l’ouest la France, l’ennemi n° 1 de Mein Kampf, grâce à sa supériorité mécanique. Ce faisant, il créa la situation stratégique contre laquelle ses devanciers ne cessèrent de le mettre en garde, à commencer par Bismarck : il déclencha la guerre sur deux fronts. Il s’imagina, ensuite, rester fidèle disciple de Schlieffen, quand il poussa ses divisions blindées à travers la Hollande et la Belgique, jusqu’aux ports français de la Manche et de l’Océan. En réalité, c’est contre l’Angleterre elle-même qu’il aurait dû porter l’offensive, par un franchissement audacieux du Pas-de-Calais.
En Méditerranée, il surestima la force de ses alliés italiens ; il négligea l’invasion de l’Espagne jusqu’à Gibraltar. Quand, enfin, Graziani prit l’offensive contre l’Égypte, il était trop tard ; les renforts allemands furent insuffisants, Rommel ne put, faute d’essence, pousser son attaque à fond et enlever la position. Une autre faute irréparable fut l’attaque contre la Russie, d’où, celle-ci une fois conquise, il espérait se lancer, comme d’un tremplin gigantesque, contre la Grande-Bretagne. Il n’arriva pas à emporter Moscou ; il échoua devant Stalingrad ; l’extension du front épuisa ses réserves ; il s’entêta, par la suite, à ne pas vouloir, malgré ses conseillers militaires, le restreindre suffisamment pour se constituer les dernières réserves stratégiques, qui lui auraient, peut-être, permis de résister plus efficacement à l’assaut anglo-saxon contre le mur de l’Ouest. C’est tout ce tissu d’erreurs, fruit d’une insuffisance de culture, comme d’une suffisance invétérée de caractère, que le lieutenant-colonel Miksche développe sous nos yeux avec force et talent.