La construction européenne
Beaucoup de livres ont été consacrés à l’Europe, mais il en est peu qui, autant que celui-ci, analysent avec une telle rigueur scientifique et un tel souci des exigences politiques le pourquoi et les résultats de l’effort communautaire. Il est vrai que son auteur connaît les problèmes « de l’intérieur » : ancien polytechnicien, ingénieur civil des Mines, Pierre Maillet a été directeur des études économiques de la Communauté européenne du charbon et de l’acier (CECA), puis directeur de la politique scientifique aux Communautés européennes. Il est maintenant professeur à l’Université de Lille.
Au moment où l’élargissement de la Communauté peut conduire à réexaminer certaines conceptions et à modifier certaines orientations, au moment aussi où le dialogue avec les pays tiers incite les « Neuf » à parler d’une voix unique, Pierre Maillet a voulu faire le point des réalisations au terme des quinze premières années du Marché commun. Il y a bien eu, comme le voulait le traité de Rome (1957), expansion continue et relèvement du niveau de vie. « Mais cette constatation suggère deux questions : l’expansion économique qu’ont connue les pays membres est-elle le résultat de la construction communautaire, et, si oui, celle-ci a-t-elle apporté tous les fruits qu’on en attendait au départ ? » Ces questions revêtent une importance particulière du fait de l’élargissement de la Communauté à trois nouveaux pays : n’ayant pas vécu l’expérience communautaire, ayant des problèmes politiques et économiques souvent différents de ceux des « Six », ces trois nouveaux partenaires sont amenés à poser des questions sur le bien-fondé de certaines conceptions, même s’ils se sont engagés à adopter l’acquis communautaire.
Après avoir étudié tout ce que recouvre la question « La Communauté constitue-t-elle déjà une zone économique homogène ? », Pierre Maillet analyse successivement l’évolution des structures de production, les effets du Marché commun pour l’Européen, les ajustements macro-économiques, les relations entre la Communauté et le reste du monde, avant d’esquisser « les tâches de demain ». Au terme de son étude, il proclame la « primauté du politique » : « La construction européenne ne se présente ni comme la grande épopée du XXe siècle, ni comme un mythe en voie d’effondrement, mais beaucoup plus comme une vaste construction inachevée, sur l’utilité et sur le dessin final de laquelle s’interrogent les bâtisseurs d’aujourd’hui ». Ces interrogations se développent dans un contexte peu favorable, car « la Communauté a du mal à résister à une certaine balkanisalion, à un certain émiettement de son action, entraînant une cohérence insuffisante tant entre les actions nationales et les actions communautaires qu’entre les diverses actions communautaires elles-mêmes ». La Communauté manque d’un « grand dessein ». Selon Pierre Maillet, la réalisation de l’Europe politique n’a probablement qu’une importance modique en ce qui concerne l’efficacité économique, car le Marché commun est irréversible. Mais les résultats peuvent être différents en ce qui concerne le genre de vie. Si les Européens persévèrent dans la méfiance mutuelle et l’égoïsme sacré, la pression américaine s’alourdira. S’ils prennent conscience de l’intérêt d’une voie européenne de développement économique et social, et consentent aux efforts nécessaires, une personnalité européenne pourra prétendre à un rôle mondial. « L’Europe n’a plus longtemps pour se décider. Rien n’est jamais totalement perdu, mais il est toujours plus tard qu’on ne croit ». ♦