Agronome de la faim
Le critique se trouve quelque peu désarmé pour émettre un avis sur cet ouvrage mal composé, mal écrit, touffu… cacophonique, pour tout dire. Cette accumulation d’insuffisances formelles ne devrait-elle pas l’inciter à s’abstenir, pour ne pas désobliger l’auteur ? Eh bien ! pas du tout. Car tous ces défauts réunis ne peuvent rien contre le fait que ce livre, plein de verve, de dynamisme et de passion accroche vigoureusement l’attention de ceux-là mêmes qui sont depuis longtemps familiers des idées de René Dumont et qui connaissent le personnage quelque peu farfelu, mais attachant, qui les a défendues avec tant d’ardeur et de conviction tout au long d’une œuvre abondante et, il y a un peu plus d’un an, au cours de la campagne présidentielle dans laquelle il s’était porté candidat. À ceux-là, et à plus forte raison à tous les autres, l’Agronome de la faim apprendra beaucoup.
La principale leçon, sans doute, de cette sorte d’autobiographie (comme le veut la collection qui a sollicité les confidences de l’auteur), c’est qu’on peut encore, dans notre civilisation de consommation, mettre son existence en harmonie avec ses convictions, combattre pour ses idées autrement que par des mots, se vouer à une tâche que l’on estime essentielle d’une façon totalement désintéressée.
Mais le succès d’une telle entreprise – et c’est là une deuxième leçon importante –demande une somme énorme de travail, une activité de tous les instants, un grand mépris du confort et de la sécurité. L’existence de René Dumont ne comporte pas de point mort.
Cependant, au bout d’une vie vouée à la recherche et à l’enseignement, lorsqu’on a appris à dominer les techniques de son métier, on s’aperçoit, nous avoue René Dumont, que la tâche n’est qu’ébauchée et que bien d’autres efforts, dans bien d’autres domaines seraient encore nécessaires pour arracher aux dirigeants les décisions indispensables.
C’est cette conception un peu romantique et « rétro » de ce que peut et doit être la vie d’un homme responsable du fait de son savoir, qui transparaît tout au long de la profession de foi de René Dumont. L’ardeur de ses convictions fait vite oublier les redites, les naïvetés et les erreurs dont il se rend coupable et qu’il n’hésite pas d’ailleurs à nous signaler parfois lui-même, car son tempérament le porte à la modestie, à l’autocritique et à un certain humour. Les pontifes ne sont en fait que des cuistres, estime René Dumont qui sait qu’il a mieux à faire, quant à lui. ♦