Général Maurice Sarrail 1856-1929 — The French Army and Left-Wing Politics
Au-delà de la simple biographie d’un brillant chef militaire, c’est la politique de la Gauche française face à l’Armée que nous présente un historien de l’Université de Caroline du Nord dans cet ouvrage.
Les tentatives de républicanisation du corps militaire à la fin du XIXe siècle lièrent la carrière de Maurice Sarrail à une série de choix politiques. Issu d’un milieu conservateur et catholique, il choisit contre le gré de ses parents la carrière des armes, épouse en 1887 une jeune veuve protestante, et se fait remarquer dès cette époque par son républicanisme ardent ; lieutenant-colonel en 1901, il entre dans le cabinet du général André, ministre de la Guerre, puis trois ans plus tard devient Commandant militaire de la Chambre des Députés.
L’affaire des fiches et la démission du général André en font le principal instrument de la politique militaire de la Gauche : de 1907 à 1911, le colonel Sarrail, Directeur de l’Infanterie au ministère de la Guerre, tente de faire évoluer l’institution militaire par la valorisation du rôle des réserves au sein d’une armée d’active dont les sentiments antirépublicains, exacerbés par l’Affaire Dreyfus, effraient radicaux et socialistes.
De 1914 à 1917, il reste l’officier général le plus puissant grâce aux appuis de parlementaires tels que les radicaux Painlevé, Franklin-Bouillon ou le socialiste Renaudel ; relevé du commandement de la IIIe Armée française par Joffre, en juillet 1915, il reçoit la direction des armées alliées en Orient, malgré les réticences de Briand, Président du Conseil à partir d’octobre, et l’hostilité du vainqueur de la Marne qui cherche la décision sur le front occidental.
Cependant, ni les offensives de l’automne 1915, ni celle de l’été 1916, pourtant couronnée par la prise de Monastir, ne parviennent à retenir l’attention des chefs alliés dont les regards restent tournés en 1916 vers les champs de bataille de Verdun, puis de la Somme.
D’autre part, l’envoi de puissants renforts en Orient aurait réveillé les divergences des intérêts balkaniques et méditerranéens des Alliés : aussi la politique pro-venizeliste [NDLR 2020 : du nom de l’homme politique grec Elefthérios Venizélos] de Sarrail se heurte-t-elle à la Grande-Bretagne, soucieuse de ménager la neutralité grecque pour maintenir ses positions au Moyen-Orient, à l’Italie décidée à faire valoir des revendications sur l’Albanie, et à la Russie désireuse de constituer une Grande Grèce sous le sceptre d’un Romanov. La Révolution athénienne d’avant 1916 qui amène au pouvoir le parti vénizeliste favorable à l’Entente confirme les Alliés dans l’idée d’une France cherchant à s’installer dans les Balkans.
La crise de 1917 qui met fin à l’Union sacrée et porte Clemenceau au pouvoir sonne le glas des espérances de Sarrail : privé de l’appui d’une gauche divisée par la Révolution russe et affaiblie par l’affaire Malvy, il est relevé de son commandement le 10 décembre et cesse toute activité.
La victoire du Cartel des Gauches en 1924 le fait revenir au premier plan : Herriot le choisit pour remplacer le général Weygand comme Haut-Commissure français en Syrie et au Liban ; sa politique, favorable aux musulmans ne réussit pas à satisfaire les exigences syriennes et lui attire les foudres des nationalistes de la métropole qui le rendent responsable de la révolte druze de 1925.
À travers Sarrail, la droite attaque tout le programme militaire et politique de la gauche depuis 1899 ; aussi, bien qu’embarrassés par sa personnalité, radicaux et socialistes doivent-ils assurer sa défense, malgré les divergences profondes qui se font jour en 1925 au sein du Cartel.
D’une lecture aisée, l’ouvrage de Jan Karl Tanenbaum a le grand mérite de mettre en évidence l’étroite corrélation existant entre la personne du général Sarrail et la politique militaire de la Gauche du début du siècle jusqu’en 1925 : comme avant lui le général André, Sarrail fut l’instrument de la tentative radicale-socialiste de républicanisation du corps des officiers, et resta jusqu’à sa mort en 1929 le symbole de l’anticléricalisme, du respect des institutions et de la volonté du contrôle civil de l’armée. ♦