Adolf Hitler à l’assaut du pouvoir
La plupart des journalistes de notre époque finissent par se découvrir une vocation d’historien. Ils imaginent sans doute, et le public les suit dans cette extrapolation contestable, que rendre compte au jour le jour des événements immédiatement observables, est un exercice de même nature que de comprendre les temps révolus. Ce serait sans doute vrai s’il suffisait, muni d’un magnétophone et d’une caméra, de prendre l’avion pour interviewer Alexandre le Grand. Le moindre pigiste débrouillard pourrait alors prétendre à la gloire de Plutarque.
Il faut reconnaître cependant à certains journalistes de grand talent, sinon des dispositions pour les recherches patientes et minutieuses qu’exige l’exploration des archives, du moins des aptitudes pour déceler les motivations psychologiques des personnages qu’ils approchent. Et surtout, contrairement à beaucoup d’historiens professionnels, ils ont le don d’accrocher l’attention du lecteur en « racontant l’histoire » d’une façon vivante, pittoresque et passionnée. C’est certainement le cas de Raymond Cartier, d’autant plus, qu’arrivé au sommet de sa carrière de journaliste, il avait le loisir de réfléchir et pouvait en outre gagner un temps précieux en axant sur la recherche et l’analyse des documents des équipes de jeunes collaborateurs dont il lui suffisait de trier la récolte.
Le résultat n’est donc pas fondamentalement critiquable. Au contraire ! À bien des points de vue, les idées de Raymond Cartier renouvellent l’air quelque peu confiné que bien des historiens français maintenaient dans l’espace clos des thèses officielles et conformistes, par exemple, en ce qui concerne les origines de la guerre 1914-1918, les clauses de la paix de Versailles ou les répercussions de cette paix sur l’état d’esprit du peuple allemand. Raymond Cartier épouse dans une certaine mesure, sur ces différents sujets, les thèses anglo-saxonnes, honnies en France, mais qu’il n’est pas inintéressant de rappeler.
Le caractère odieux et inhumain de Hitler est, certes, parfaitement bien mis en lumière, ainsi que les étonnantes discontinuités qu’on observe dans l’évolution de sa personnalité. Entre le jeune homme renfermé, taciturne, rêveur et inoffensif fréquentant les bas-fonds de Vienne, et le tribun de pacotille hargneux, prolixe, mais supérieurement éloquent de Munich, se situe un personnage totalement différent des deux autres – le caporal Hitler de la Première Guerre mondiale. Sur ce personnage, Raymond Cartier apporte des précisions qui, croyons-nous, surprendront bien des lecteurs. Dans ses fonctions obscures, on pourrait presque dire : dans sa vocation, combien dangereuse et exposée, d’agent de liaison à l’échelon du régiment, Hitler a fait consciemment preuve d’un courage physique et moral, d’un dévouement, d’une abnégation, d’une modestie et d’un idéalisme qui forcent l’admiration. Puis, un peu plus tard, on découvre l’être cynique, cruel, pervers, peureux et sans scrupule des années de l’assaut du pouvoir.
C’est sans doute le principal mérite de l’ouvrage que de nous éclairer sur ces variations et instabilités de caractère, qui ont eu de si lourdes conséquences pour l’humanité entière. ♦