Les mythes fondateurs de la nation américaine
Une question est à l’origine de cette étude : comment un pays tel que les États-Unis a-t-il pu se légitimer alors qu’il n’avait pas encore de caractère national ? Il ne s’agit pas en effet d’une lente sécrétion de l’histoire et la guerre d’indépendance n’explique pas tout, loin de là. Quand l’auteur affirme que les États-Unis sont la première des Nations nées de la décolonisation, il place son sujet sous un éclairage très moderne. Mais in vitro car la décolonisation de pays comme l’Algérie ou le Mali s’est faite par référence à un passé dont les États-Unis étaient fort dépourvus. La tâche des Fondateurs de la fédération américaine a donc été de trouver un substitut à l’histoire.
On connaît la thèse d’Alexis de Tocqueville : le ciment de ce pays n’est autre que l’omnipotence de la majorité consacrant l’égalité des citoyens. Élise Marienstras va plus loin dans l’analyse. Elle ne se satisfait pas de cette règle constitutionnelle et tente de cerner au plus près ses origines, ses « mythes fondateurs ». Elle charpente son propos d’une profusion de citations qui lui donnent toute sa valeur. On regrettera quelques rares, mais importantes, confusions de terminologie. Il est en effet difficile de croire, par exemple, que c’est par inadvertance ou goût de la litote qu’elle désigne sous le nom de « nationalisme » ce qui reste fondamentalement un « racisme ». D’autres réserves pourraient être émises. Il n’en demeure pas moins que cet ouvrage est intéressant, voire captivant, à plus d’un litre.
D’abord parce qu’il souligne à quel point les références politiques des dirigeants américains sont littéraires et morales, Rousseau est passé par là, on ne peut en douter. Et le puritanisme également. Mais si le « melting-pot » est un credo que justifie la nature composite de la population, comment oublier que seuls les Blancs avaient droit de citoyenneté ? Dès l’origine, les États-Unis affichent une prétention universaliste que les faits démentent. Sans doute les Fondateurs craignirent-ils de nuire à l’homogénéité de la société américaine. Il manquait le creuset de l’histoire. À cela s’ajouta le fait que la classe dominante était concentrée dans l’Est du pays et qu’elle légiféra en détenant le pouvoir économique. La prospérité matérielle avait force de loi morale : le pionnier est le législateur de droit et n’est-il pas normal qu’il impose ses normes aux « primitifs » qui l’entourent ? C’est l’échec humain du melting-pot et la victoire de l’homo faber anglo-saxon. On assiste dès lors à une « théorisation » de la volonté qui prendra forme dans les institutions. Il n’y aura pas de langage commun à toute la communauté, mais qu’importe puisque la réussite matérielle suffira à masquer les conflits ethniques. En définitive, l’unité du pays se fera au prix de l’écrasement du sud : on y verra à tort une victoire des critères d’égalité. Ce fut une mainmise du puritanisme sur les meilleures possibilités historiques des États-Unis, et cela Élise Marienstras néglige d’en parler comme il conviendrait.
On comprend mal, dès lors, qu’elle puisse soutenir que l’idéologie nationaliste est le fil conducteur de l’histoire américaine : le volontarisme américain est précisément à l’opposé de tout véritable nationalisme et à Washington un certain goût de la pureté historique, une certaine notion de l’universalisme et la préférence donnée au contrat social sur la réalité humaine ont engendré une tendance à l’hégémonie dont ce bicentenaire témoigne. Tout cela n’est pas toujours très clairement exposé dans ce livre mais les données y sont : c’est tout son intérêt. ♦