Le premier jour du monde
Cet ouvrage fait suite au Déluge du matin du même auteur, paru en 1973, dont nous avons rendu compte dans notre numéro d’avril 1973. Il s’agissait, on s’en souvient peut-être, de la première partie d’une vaste fresque destinée à présenter au public occidental l’histoire de la Chine contemporaine centrée sur le personnage de Mao Tsé-toung. Ce deuxième volume embrasse la période de 1949 à nos jours. Han Suyin utilise ici comme précédemment une très riche palette dont les éléments de base ont nom : idéologie, romantisme, ambiance, émotion, pittoresque. L’amateur d’histoire y retrouve tout de même son compte, malgré l’absence de tout appareil critique sérieux, car Han Suyin est un excellent conteur et parce que, ayant vécu la moitié du temps en Chine au cours des vingt dernières années, elle a été le témoin attentif, bien que trop enthousiaste à notre sens, des événements qu’elle relate.
Cet enthousiasme et sa foi quasi religieuse (le mot n’est pas trop fort) en Mao la dispensent du doute et des scrupules inséparables de la démarche de l’historien. Elle n’hésite pas beaucoup sur l’interprétation des événements. Elle sait parfaitement qui a tort et qui a raison, où se cachent les traîtres et de quel côté sont les loyaux serviteurs. On ne saurait dire pour autant qu’elle réussisse à démêler complètement pour le lecteur occidental les fils embrouillés des grands moments du régime maoïste : les « Cent Fleurs », le « Grand bond en avant » ou la « Révolution culturelle prolétarienne ». Cependant, si elle n’arrive pas mieux que d’autres spécialistes à nous les faire comprendre, elle nous les fait certainement mieux sentir dans leur déconcertante diversité et leur totale absence de logique cartésienne.
Contrairement à la plupart des observateurs, Han Suyin ne semble pas assigner au phénomène désigné en Occident par le terme « pensée - Mao Tsé-toung » un rôle déterminant et moteur dans l’évolution contemporaine de la Chine. Elle nous paraît plutôt estimer que ce sont des états d’âme collectifs qui se sont exprimés à travers Mao. Cette sorte d’unanimisme constitue, à notre avis, une approche féconde, en tout cas très intéressante, de la vie chinoise. Il est dommage que Han Suyin – elle aurait pu le faire grâce à sa connaissance des Chinois –n’ait pas poussé plus loin ses explorations dans cette voie. ♦