Histoire de l’Allemagne
Alliant de solides connaissances historiques aux dons de romancier, l’auteur réussit l’exploit remarquable de résumer en 700 pages l’histoire de l’Allemagne, de ses origines jusqu’à nos jours. En dépit de sa densité, cet ouvrage se lit presque comme un roman ; les détails révélateurs et parfois amusants abondent, allégeant ainsi son poids scientifique. Même au lecteur averti il procure un enrichissement certain. Trop souvent les observateurs des questions allemandes ignorent ou négligent de longues périodes de l’histoire du pays voisin, bien qu’elles aient fortement influencé les événements ultérieurs. Nous pensons notamment au Moyen-Âge, au rôle des villes et aux multiples facteurs de division, de l’évasion des empereurs vers Rome ou vers le Sud-Est européen jusqu’à la Réforme, qui provoqua pendant des siècles un extraordinaire émiettement national. L’utilité, la valeur et l’intérêt de ce livre sont donc incontestables.
Pourtant, on le ferme avec un sentiment de regret et une certaine insatisfaction intellectuelle, car Pierre Gaxotte livre la clé de l’énigme allemande en quelques lignes dans son dernier chapitre, sans en tirer les conclusions nécessaires. Il constate en effet : « l’Allemagne n’a ni unité de relief, ni unité de race. Elle est, au contraire, le pays de la variété, du morcellement, de la complication, des divisions infinies. Groupes ethniques, États, territoires, confessions religieuses, partis, castes, syndicats, associations et hiérarchies de toutes espèces : l’Allemand apparaît comme l’illustration d’un incroyable pluralisme psychologique, politique, social, contre lequel il a longtemps réagi par une fuite dans le monde idéal, par la ferveur religieuse, par la spéculation philosophique, par le rêve, par la musique, par les lettres ». Cet épilogue fort juste n’a malheureusement pas servi à l’auteur de fil conducteur pour son œuvre. Or, il aurait même pu devenir le point de départ d’une nouvelle analyse à la fois précieuse et inédite non pas seulement de l’histoire de l’Allemagne mais aussi de son rôle et de ses possibilités dans l’Europe de demain.
À côté de ce regret la remarque s’impose que toute vulgarisation historique – si objective et si sérieuse qu’elle soit – conduit forcément à une certaine généralisation et suscite aussi des controverses, dès qu’il s’agit d’un sujet aussi actuel que l’Allemagne. C’est ainsi qu’on s’étonne qu’un historien de qualité tel que Pierre Gaxotte laisse échapper des jugements aussi sommaires que celui-ci : « l’Allemand en face des autorités constituées perd son jugement ; sa faculté d’apprécier est suspendue ». L’objectivité n’exclut pas évidemment l’engagement. L’historien le plus objectif doit nécessairement faire des choix lorsqu’il veut expliquer le devenir d’un pays en 700 pages. Certains faits sont donc mis en évidence, d’autres laissés dans l’ombre. Ainsi prévaut – à tort ou à raison – l’impression que l’auteur croit davantage à l’Allemagne éternelle qu’à l’Allemagne nouvelle. On est, par ailleurs, en droit de se demander s’il ne sous-estime pas l’apport culturel allemand, en parlant par exemple d’une civilisation d’emprunt et d’imitation, de même que des conséquences extraordinaires de l’interprétation intellectuelle, culturelle et politique qu’a connue l’Europe du Moyen-Âge et même de la Renaissance. On pourrait poser à l’auteur bien d’autres questions au sujet de son essai historique. L’esprit critique qu’il provoque est sans doute la meilleure preuve de l’attention que mérite cet ouvrage monumental. ♦