Sur la France
La nouveauté de cette réédition des « Essais sur la France. Déclin du Renouveau » (parus aux éditions du Seuil en 1974 et dont nous avions rendu compte dans notre bibliographie de mai 1975) tient dans la préface et la postface dont elle s’est enrichie. Dans la première, l’auteur, politologue américain, né à Vienne, aujourd’hui professeur à Harvard, et qui doit beaucoup à la formation qu’il a reçue à notre Institut d’études politiques (IEP), fait part de ses considérations rétrospectives sur l’esprit dans lequel il avait composé les trois analyses rassemblées dans son ouvrage initial et marquant trois étapes de sa réflexion sur les rapports entre la société, la nature et l’État dans la France contemporaine.
Dans la postface, il nous livre ses remarques sur l’évolution en cours depuis l’élection présidentielle de mai 1974. Une telle démarche fait ressortir, certes, les erreurs qui ont pu être commises par l’observateur de la politique française, mais par là même cette démarche est fort instructive car elle permet de souligner que la politique est bien le domaine du contingent, de l’insaisissable, pour reprendre une expression du général de Gaulle – personnage qui n’a cessé de fasciner Stanley Hoffmann. La politique est l’expression d’une volonté qui peut aller jusqu’à modifier radicalement, ou du moins à infléchir ou contenir momentanément des comportements traditionnels profondément enracinés dans la conscience collective des Français.
L’auteur ne nous propose pas une explication scientifique du fait français – il récuse formellement tous les schémas marxistes conférant un effet de déterminisme absolu au poids des infrastructures – mais une interprétation globale du phénomène politico-social propre à notre pays. Pour lui, la France est à la recherche d’un nouvel équilibre entre ces trois éléments qui sont la société, l’État et son rôle dans le monde. Cet équilibre a jadis été réalisé par ce qu’il appelle « la synthèse républicaine » sous la IIIe République. Mais il s’est dégradé et même rompu vers les années trente, et la guerre a accentué la cassure. Avec le général de Gaulle, on a pu espérer que l’idée de nation jouerait un rôle intégrateur pour la société française et réussirait à la fois à opérer sa mutation nécessaire et sa réinsertion dans le système international. Malheureusement, une certaine incompatibilité existe entre ces deux finalités dans la mesure où nation et système international sont antagonistes. La première postule le maintien de la spécificité française, le second au contraire son effacement. Une France qui se modernise, c’est certes une France qui élimine certains antagonismes et certains archaïsmes de la « société bloquée »… « C’est une France qui se donne les moyens de jouer un rôle au-dehors – pour peu que le système international le permette. Mais c’est aussi un pays qui perd une bonne part de son originalité »… « De plus, l’ouverture des frontières (entreprise européenne, déclin du protectionnisme, priorité à l’exportation, entrée des multinationales) diminue considérablement l’autonomie véritable de la nation au-dehors, en imposant des impératifs et des contraintes qui contribuent à évacuer ce qu’a eu d’original, de spécifique, le rôle de la nation française dans le monde »…
Au moment où la question de l’élection d’un Parlement européen est à l’ordre du jour, ces quelques citations suffisent à montrer la brûlante actualité de ces essais, dus à l’un des observateurs les plus lucides de notre politique et dont les sympathies pour notre pays sont bien connues.
Voilà un livre dont le format permet de « mettre en poche » une très grande richesse de réflexion sur le vaste sujet de la France et de son ouverture mondialiste. Sa lecture demande un petit effort en raison de sa densité, mais le lecteur en sera très largement récompensé. ♦