L’esprit de perfection
On entend dire couramment que le goût de la lecture ne serait pas, ou ne serait plus, très répandu en France. Et ceux-là même qui n’en seraient pas dépourvus, ne trouveraient plus, dans la production actuelle, de quoi le satisfaire. Leur inclination serait ainsi contrariée, faute de stimulant.
Il ne devrait cependant pas en être ainsi, puisque jamais autant de titres n’ont paru chaque mois en librairie. Serait-ce que ces titres recouvrent très peu d’œuvres ayant droit au qualificatif de littéraires ? L’amour des livres et l’habitude de lire peuvent-ils trouver un encouragement efficace dans des vitrines de libraires encombrées de reportages et de pamphlets, d’actualités politiques et économiques, de romans à la recherche d’un prix, d’ouvrages de circonstance camouflés en « histoire immédiate », en un mot, d’une production qui n’est, à tout prendre, qu’utilitaire, sinon mercantile ?
Il convient dès lors de saluer un livre comme celui de Georges Roditi qui n’obéit à aucune mode et se situe dans la plus pure tradition des moralistes qui ont fait, plus que les grands romanciers, les grands dramaturges ou les grands poètes, la réputation de notre littérature.
Le genre est ardu et il a la réputation d’être ennuyeux. En fait, il ne passe la rampe que dans la mesure où l’auteur a réellement quelque chose à dire et qu’il sait bien le dire. Le moraliste se penche sur l’homme, sur sa nature, ses passions, ses croyances, c’est-à-dire sur ce qu’il y a de plus difficile à comprendre et à exprimer par des mots. Chacun le fait à sa manière, en adoptant la forme la mieux appropriée au rythme intérieur de sa propre pensée et de sa sensibilité. C’est ainsi que La Bruyère a choisi de présenter des caractères, La Rochefoucault a opté pour des maximes, La Fontaine pour des fables, Montaigne pour des essais, Pascal pour des pensées.
La manière de Georges Roditi tient par quelques côtés, à celle de chacun de ces auteurs, tout en conservant une forte originalité.
Le propos de son ouvrage est d’examiner l’attitude de l’homme devant la vie. Il est ainsi amené à distinguer un esprit de perfection qui permet de progresser tout en restant dans l’intimité de soi-même et dans le cadre de sa personnalité, d’un esprit de buts ou de projets attentif seulement aux sollicitations et aux leurres du monde extérieur dont il subit la tyrannie. Sur ce thème, Georges Roditi nous convie à une véritable fête de l’esprit, à laquelle il fait participer toutes les disciplines intellectuelles. Ses réflexions sont neuves, vigoureuses, incisives et de surcroît admirablement « rédigées ». Aucun reproche d’esthétisme ne peut pour autant être fait à l’auteur. Son livre est au contraire une invitation à l’action en toute connaissance des choix qui se présentent et des conséquences qu’ils entraînent. De ce point de vue, il ne serait pas surprenant, comme le note un critique, que ce petit volume « se retrouve sur la table du chef d’entreprise et dans la poche du hippie ». ♦