L’art de la guerre et le marxisme-théorie et stratégie
Ce titre, qui peut paraître pédant, ne reflète que très imparfaitement le bon sens et la verve qui animent ce bref recueil. Il s’agit d’allocutions et articles de Trotsky datant de 1921-1922, c’est-à-dire de l’époque de la NEP (Nouvelle politique économique). C’est un plaidoyer vigoureux – non exempt de répétitions – en faveur de l’empirisme et du réalisme dans l’art de la guerre et contre les prétentions doctrinaires de certaines personnalités soviétiques, parmi lesquelles le futur Maréchal Toukhatchevski.
Toute l’argumentation de Trotsky, présentée en termes simples, est fondée sur deux considérations complémentaires : la première tend à démontrer que la guerre n’est pas une science mais un art qui n’obéit à aucune loi scientifique en dehors du bon sens et des diverses disciplines scientifiques qu’elle met en œuvre : géographie, balistique, etc. La seconde est que le marxisme, qui n’est qu’une méthode sociologique et économique, n’a par lui-même aucune incidence directe sur l’art de la guerre. Certes, il peut avoir une influence indirecte en raison des structures sociales qu’il implique et qui se retrouvent dans les armées. Mais Trotsky s’élève contre ceux qui prétendent que la stratégie des armées révolutionnaires ne peut être qu’offensive et manœuvrière, alors que les armées impérialistes ne pourraient que se cantonner dans la guerre de position. Il démontre que si l’Armée rouge a appris à manœuvrer, c’est d’une part parce qu’elle s’est inspirée de la tactique des armées contre-révolutionnaires qu’elle combattait dans la guerre civile et dont l’encadrement était meilleur que le sien, et d’autre part en raison des conditions matérielles de cette guerre et notamment de l’immensité d’un théâtre d’opérations, où la guerre de position était inconcevable. Quant aux tenants exclusifs de l’offensive ou de la défensive en termes militaires, Trotsky les renvoie dos à dos au nom de la « manœuvre » qui implique l’une et l’autre, reconnaissant cependant que la stratégie politique d’un gouvernement révolutionnaire ne peut guère être qu’offensive.
Il insiste, non sans ironie, sur la priorité qu’il faut donner dans la guerre aux détails même modestes de la technique militaire, de préférence à la « doctrine » que certains lui reprochent de négliger. Après avoir énuméré toutes les menues besognes qui jalonnent la vie du soldat et qu’il faut avant tout lui apprendre à bien faire, il affirme : « En un jour de fête, celui qui appellera doctrine militaire ce programme pratique ne sera pas puni » (p. 108).
« Qu’est ce qui est le plus difficile à écrire, dit-il ailleurs, des thèses abstraites ou un manuel pour le commandant de compagnie ? Le second est cent fois plus difficile ; mais il est mille fois plus utile » (p. 210).
On ne peut qu’être frappé par la liberté avec laquelle s’exprime Trotsky – même au sujet du marxisme : « Les lois économiques établies par Marx ne sont pas des vérités éternelles, dit-il ; elles caractérisent uniquement une époque déterminée de l’évolution économique du monde ». La véhémence ironique de certaines de ses démonstrations jettent un jour inattendu sur l’atmosphère des premières années du régime soviétique et aide à comprendre pourquoi Trotsky devait être inassimilable pour le monolithisme et le dogmatisme staliniens.
La préface très pertinente de M. Naville mérite à elle seule une lecture attentive. ♦