Mémoires d’Outre-Rhin
Ambassadeur de France, nourri dans le sérail puisque son père était lui-même diplomate et lui aussi un spécialiste des relations franco-allemandes. François Seydoux représenta deux fois la France à Bonn et y fut l’un des artisans du rapprochement des deux pays. L’un des mérites et non des moindres de ses mémoires est précisément de nous faire revivre ces moments historiques où s’est dessinée la forme actuelle de l’Europe et de nous faire prendre conscience des difficultés qu’il fallut vaincre pour associer à ce grand dessein des peuples aux mentalités différentes et traumatisés par trois guerres fratricides.
Nous assistons avec lui aux origines de la construction européenne, à la création de la Communauté charbon-acier et à la tentative de Communauté européenne de défense (CED) – dont il désapprouve le caractère intégrationniste. Bien qu’il ne partageât pas toutes les idées de Robert Schuman concernant l’édification de l’Europe, François Seydoux n’en laisse pas moins de lui un portrait qui ne manque pas de grandeur et le tombeau qu’il lui dresse a toute la noblesse qui convient. Mais ce sont, bien entendu, les rapports de Gaulle-Adenauer qui fournissent à l’ouvrage sa matière la plus riche et la plus vivante. Le diplomate fut présent à presque toutes les rencontres de ces deux hommes d’État hors série et, mieux que tout autre, il était fondé à nous restituer le climat de fascination réciproque et de sympathie qui s’établit entre eux et à nous faire assister à la naissance du projet d’Europe politique sur lequel ils tombèrent d’accord à Rambouillet le 29 juillet 1962. L’entente franco-allemande était alors définitivement scellée.
D’aucuns, habitués aux portraits malicieux ou même scandaleux qui font recette, regretteront peut-être que l’auteur fasse preuve d’une grande bienveillance à l’égard de la quasi-totalité des personnages qu’il met en scène et dont la galerie lui rappellera celle des Histoires de France de nos enfances où l’on voyait s’aligner dans une égale dignité tous les chefs d’État de Clovis à « Monsieur » Poincaré. Il nous plaît, quant à nous, que l’un de nos plus brillants diplomates ait cette magnanimité d’âme. Sa vision sereine et indulgente des choses et des hommes nous paraît finalement plus proche de la vérité, et c’est peut-être là le secret de sa réussite. La morale rejoint parfois l’efficacité. Souhaitons en tout cas, puisque François Seydoux arrête l’évocation de sa carrière au moment où il quitte l’Allemagne en 1962, qu’il puisse un jour se départir de sa discrétion et nous livrer ses souvenirs sur la période qui suit, en particulier sur celle de sa deuxième et non moins passionnante ambassade à Bonn à partir de 1965. ♦