Tout est possible ! Les gauchistes français - 1929-1944
« Ils se disaient qu’il fallait changer le monde. Ils ne savaient pas encore comme c’est lourd et mou, le monde ». Cette phrase de Paul Nizan ouvre le livre que M. Jean Rabaut consacre à ceux qui, à l’extrême de l’extrême-gauche, dans l’anarchisme ou derrière celui qu’ils appelaient « le Vieux » – il s’agissait de Trotsky – tentèrent dans d’innombrables groupuscules de modifier le cours de l’histoire. M. Rabaut a milité dans les rangs de cette minorité fractionnée en cent tendances. Mais il ne se contente pas d’évoquer ses souvenirs. Il a interrogé des survivants ; il a relu beaucoup de textes qui, depuis, ont sombré dans l’oubli ; il présente des documents inédits.
On est frappé par ce foisonnement des sectes d’extrême-gauche en même temps que par la vie intense de ces groupuscules qui, avant même que Trotsky ne soit chassé d’URSS en 1929, refusaient de se fondre dans les grands partis qu’étaient le parti socialiste et, déjà, le parti communiste. L’arrivée de Trotsky fut un catalyseur : on n’était plus seulement pour ou contre la révolution russe, on était ou on n’était pas trotskiste. Dès lors, l’histoire du gauchisme français est exclusivement le récit de ces divisions, de l’impossible entente de ces hommes qui passaient leurs jours à créer des mouvements squelettiques et à publier des brochures dans lesquelles ils s’excommuniaient et échafaudaient des théories. Dérisoire et dramatique est cette histoire sur laquelle s’étendent peu à peu les ombres des crimes de Staline perpétrés sur le sol français par ses agents, le national-socialisme, la guerre d’Espagne. Le Front populaire, c’est l’illusion, comme le dit l’un de ses plus célèbres leaders, Marceau Pivert, que « tout est possible ».
En fait, les gauchistes eurent peu de poids sur l’histoire immédiate, qui fut l’œuvre des « gros bataillons ». Mais le gauchisme fut un vivier d’individualités brillantes, d’intellectuels hostiles aux orthodoxies, qui étaient des lanceurs d’idées, qui refusaient à la fois Hitler et Staline. Bien des noms que les années ont rendus célèbres, de Simone Weil à André Breton, de Pierre Naville à Michel Leiris, se retrouvent plus ou moins proches de cette extrême-gauche. Cela suffit à éclairer la place du gauchisme (inséparable du trotskisme) dans l’histoire des idées au XXe siècle. Cela aide à comprendre le gauchisme d’aujourd’hui. ♦