Israël : la mort en face
Livre d’histoire immédiate, comme le précisent eux-mêmes les auteurs, Israël : la mort en face se recommande non seulement parce qu’il est un ouvrage vivant et agréable à lire mais aussi parce qu’il est susceptible d’apporter à tous ceux qui veulent comprendre l’année critique de l’histoire d’Israël, celle de la guerre du Kippour (1973), une documentation et un ensemble de témoignages de nature à alimenter leur réflexion.
Les auteurs manifestent une profonde connaissance de la réalité d’Israël et plus encore de la mentalité de son peuple. C’est par l’étude de la société israélienne depuis le début de ce siècle qu’ils tentent d’expliquer comment l’une des plus grandes victoires d’Israël, au point de vue strictement militaire, s’est transformée en une cruelle défaite politique. L’autopsie de cette défaite et de la crise de morbidité qui l’accompagne donne toute son ampleur à ce livre qui s’ouvre pourtant à la manière d’une œuvre de Cornélius Ryan. Car il s’agit bien d’un de ces nombreux reportages où l’on voit apparaître tour à tour les témoignages de simples combattants, les incertitudes et les hésitations du commandement et les commentaires après-coup des spécialistes.
Non sans raison, les auteurs insistent sur la confiance initiale d’Israël qui confine à l’aveuglement et au complexe de supériorité, à la veille du Kippour ; une confiance grosse de l’impéritie qui va mener l’État au seuil de sa perte après quelques heures de bataille. Tous les efforts pour retourner la situation, toutes les réussites de la fin de la guerre ne réussiront pas à effacer, dans l’opinion israélienne, le traumatisme des premières heures. À jamais Israël restera frappé de cette angoisse que chaque attentat palestinien vient ranimer. Le Kippour 1973 aura été le grand tournant de l’histoire de l’État hébreu. Avec cette guerre, c’est l’équipe historique des vainqueurs de 1967 – Dayan, Eban, Meir – qui mord la poussière. C’est avec une extrême minutie que les auteurs réussissent à nous rendre compte de ce naufrage. Les événements parlementaires de l’année 1974 viennent confirmer et illustrer leurs propos.
Mais, par-delà cette histoire anecdotique se révèle le problème fondamental : celui de l’existence même de l’État d’Israël, aujourd’hui abandonné par l’Europe et seul, ou presque, face aux Palestiniens. Le dernier chapitre tombe comme un couperet : « L’année des Palestiniens », comme si l’arrivée triomphale de Yasser Arafat à l’ONU en octobre 1974 sonnait le glas des espoirs d’Israël. Une phrase résume cet excellent ouvrage : « Être Israélien, c’était naguère un état d’esprit, c’est devenu un état d’âme ».
Jacques Derogy et Jean-Noël Gurgand ont le mérite de ne pas cacher leur camp. Tous deux se font les défenseurs d’Israël et leurs critiques à l’égard des dirigeants arabes qui depuis 1947 n’ont rien fait pour porter remède au drame palestinien sont particulièrement sévères. Ce parti pris n’exclut pas l’honnêteté intellectuelle. L’objectivité n’a jamais interdit le choix. ♦