Mémoires (1918-1934)
Heinrich Brüning a été Chancelier du 30 mars 1930 au 30 mai 1932. Après la dissolution de son parti, il n’a plus jamais joué un rôle politique. Émigré aux États-Unis, il y est mort le 30 mars 1970, apparemment oublié de ses compatriotes. Or ses Mémoires sont considérées comme un événement. En fait, il ne s’agit pas de mémoires à proprement parler, mais de notes prises au jour le jour, et ce livre s’apparente ainsi au Journal de Vincent Auriol pour la IVe République. Son succès tient sans doute à ce qu’il apporte de nouveaux éléments de réponse à la question : « Comment cela a-t-il pu arriver ? » – cela, c’est-à-dire Hitler et le national-socialisme. Brüning ne présente pas seulement des événements et des hommes, il ne se contente pas de peindre la décomposition d’un régime et les intrigues féroces et finalement suicidaires au sein d’un milieu dirigeant.
À travers son témoignage apparaît l’une des constantes du « moi » allemand de cette époque, à savoir le refus du Traité de Versailles, plus précisément peut-être celui des « réparations » à payer à la France. Au contraire du Traité de Francfort, celui de Versailles ne traduisait pas seulement la « loi de la guerre », il portait en lui une idée de culpabilité, et faire une politique d’application de ce traité était, pour un homme d’État, attenter à l’honneur de l’Allemagne. En 1922, Walter Rathenau est assassiné par des « patriotes »… Brüning voulait la fin du système de Versailles. Mais l’essentiel de ses mémoires réside peut-être dans ce qu’elles apportent à la compréhension de ses propres responsabilités. Son respect pour Hindenburg l’a conduit à ne même pas concevoir qu’il pouvait s’opposer à lui ; c’est à travers l’entourage d’Hindenburg qu’il affronta les grands industriels et les propriétaires terriens de l’Est. C’est Brüning qui fut à l’origine de la candidature d’Hindenburg à la présidence. Après sa courte victoire, le vieux maréchal l’abandonna. Brüning ne comprit pas pourquoi. Huit mois plus tard, Hitler était chancelier… Sans doute le national-socialisme ne s’explique-t-il pas seulement pas les contradictions et les impuissances de la République de Weimar : ses origines doivent être recherchées jusque dans l’« opération Baltique » de von der Goltz et dans les aspirations de ceux qu’Ernst von Salomon appelait « Les Réprouvés ». Mais la République de Weimar lui a offert un terrain favorable. Le témoignage de Brüning le confirme. ♦