Dien Bien Phu : L’Affaire
Qui veut noyer son chien l’accuse de la rage… Certes, la hiérarchie militaire peut, dans une certaine mesure, trouver quelque consolation à voir reposer la responsabilité du drame de Dien Bien Phu sur la hiérarchie civile qui, à Paris, présidait aux destinées de la IVe République et s’était arrogé, à ce titre, la conduite de la guerre en Indochine !
Les choses pourtant ne sont pas si simples et il semble que Roger Delpey, dans ce premier volume consacré à « l’Affaire » de Dien Bien Phu, s’acharne avec trop de hargne sur les fautes, les insuffisances, les atermoiements, les silences complices – réels – des personnages, « gouvernant » à Paris et laissant quelque peu dans le vide le commandant en chef à Saïgon ou Hanoï.
377 pages, en forme trompeuse de journal, pour les seules prémices de la bataille, c’est beaucoup. Il est vrai que Roger Delpey remonte jusqu’aux origines de la guerre – 1946 – et nous fait faire connaissance, avec curriculum vitae à l’appui, de tout un monde qu’il a pu approcher à l’occasion de cette guerre ; et voici donc le trafic des piastres, l’affaire des fuites et des généraux, le désastre de Cao Bang–Langson, l’affaire Pâque (!), et bien entendu de Gaulle, d’Argenlieu, le Rassemblement du peuple français (RPF) et l’Union des républicains d’action sociale (Uras), le Mouvement républicain populaire (MRP), Letourneau, Pleven, Jacquet et même Edgar Faure… les Américains, etc. Tout cela, truffé de noms, de faits et de chiffres, se lit facilement, est écrit de façon vivante, mais affiche trop la thèse. Au surplus, les inexactitudes manifestes retardent l’adhésion du lecteur qui ne dispose d’ailleurs d’aucune bibliographie ni de la moindre référence à la documentation officielle.
Une seule chose nous paraît importante, et un peu inédite (bien que signalée par Jules Roy dans son livre sur le même sujet, page 459), c’est la réunion d’une sorte de Comité de Défense nationale, tenue le 10 février 1954 à Saïgon, sous la présidence de M. Pleven, pour étudier un rapport du général Blanc (chef d'état-major général des forces armées Guerre [Céma à partir de 1951]), qui préconisait l’évacuation immédiate de Dien Bien Phu. Roger Delpey n’indique pas explicitement les sources de sa connaissance des délibérations de ce conseil ultrasecret, mais le problème est là : étant admis que, stratégiquement parlant, l’occupation de la cuvette de Dien Bien Phu, le 20 novembre 1953, fut initialement une bonne opération, mais que l’investissement progressif de cette base aéroterrestre par la quasi-totalité du corps de bataille Viet-Minh, notamment doté d’une artillerie au moins égale à la nôtre, en rendait la défense de plus en plus aléatoire, devait-on, pouvait-on, à cette date, entre le 10 et le 20 février 1954, évacuer le camp retranché ? Delpey semble avoir des lumières particulières pour l’affirmer, mais les techniciens du transport aérien (il n’était évidemment pas question d’évacuation par voie de terre et c’était bien là aussi une grave lacune dans les plans du commandement militaire) peuvent échanger longtemps leurs arguments et discuter des pourcentages probables et admissibles des pertes…
Il reste que les conditions purement militaires de la conception, de la préparation et du déroulement même de la bataille n’ont pas été parfaites. Cela ne saurait porter atteinte aux efforts, à l’abnégation et à l’héroïsme des défenseurs, mais ne saurait tout de même être porté au débit « des civils ». ♦