Mémoires d’avenir
Ce livre aurait-il été arrêté à la page 300 que rien ne viendrait étayer la rumeur suivant laquelle Michel Jobert aurait voulu lui conférer le caractère d’une déclaration de candidature à un « destin national ». Car, sauf en ce qui concerne les dix dernières pages, il ne s’agit que d’un recueil de souvenirs, rédigé par un haut fonctionnaire qui a vécu les vingt dernières années de notre histoire politique intérieure dans des cabinets ministériels et présidentiels, c’est-à-dire à des postes où un bon observateur savait plus de choses et pouvait mieux les comprendre.
Ces souvenirs, cependant – puisque souvenirs il y a – ont ceci de particulier qu’ils ne respectent pas l’ordre chronologique, ce qui donne plus de liberté à l’auteur pour substituer au rythme, imposé, des événements le rythme vagabond de ses propres réflexions. Celles-ci subissent néanmoins l’attraction constante d’un thème central – le conflit, qui est présenté comme permanent et organique, entre la politique et l’administration. Michel Jobert aimait l’administration et aurait voulu qu’elle fût bonne. Il détestait la politique et constatait que celle-ci était mauvaise. Cette dissonance qu’il déplorait dans la vie de la nation, trouvait donc un écho dans sa vie propre, ce qui donne par moments à son récit l’allure d’un psychodrame et le rend de ce fait assez émouvant.
L’originalité de cette conception de l’ouvrage est accentuée et servie par l’originalité d’un style très personnel et remarquablement incisif. Le secret paraît en résider dans un très large emploi de substantifs. Ceux-ci se succèdent en salves. De la sorte, l’efficacité de la phrase n’est pas affaiblie par l’interposition, non seulement de ce que le maréchal Pétain appelait les « chevilles », mais encore d’adjectifs (qui, dans notre langue, sont toujours quelque peu polyvalents) ou même de verbes.
C’est par ce moyen du style – style littéraire, mais aussi style de la pensée – que Michel Jobert, s’il ne cherche pas – directement – à nous enrôler sous sa bannière, s’efforce néanmoins de nous plaire. Sans doute ne manquera-t-il pas d’y réussir, car les Français sont très nombreux qui préfèrent le bon sens et le mot juste à la subtilité et aux sinuosités du discours.
Le titre, quelque peu ambigu, qu’il a choisi pour son livre semble indiquer l’intention de Michel Jobert de poursuivre, sous une forme qu’il ne précise d’ailleurs pas, son activité au service du pays (« avenir »), tout en se référant à son expérience passée (« mémoires »). Celle-ci, dans la mesure où l’on peut la caractériser par un seul mot, lui impose la voie à suivre – celle de l’indépendance, aussi bien pour ce qui concerne sa propre attitude parmi les hommes et les événements que pour l’action de la France dans le monde. Cette dernière idée a, elle aussi, tout ce qu’il faut pour séduire les Français. Son livre a bien été écrit pour plaire ! Nous ne voudrions pas que les lecteurs attachent à cette conclusion un sens péjoratif. ♦