Le second âge nucléaire
Claude Delmas, collaborateur de longue date de notre revue et professeur à l’Université internationale de Sciences comparées de Luxembourg, voit l’origine d’un nouvel âge nucléaire dans les progrès techniques qui ont permis aux États-Unis et à l’Union soviétique de développer des systèmes antimissiles (ABM) et des ogives à têtes multiples indépendantes (MIRV). La conscience qu’ils ont alors pris du risque d’ébranlement dangereux de l’équilibre de la dissuasion les a conduits aux conversations sur la limitation des armements stratégiques (SALT) dont les accords de Moscou en 1972 ont sanctionné la première phase.
Pour l’auteur, il s’agit là d’une mutation aussi importante que celle, en 1945, introduite par les deux bombes de Hiroshima et de Nagasaki dont les observateurs, à l’époque, ne retenaient que le caractère fantastique sans comprendre toute la transformation que la logique nucléaire allait imposer aux rapports internationaux.
À Moscou en 1972, « deux pays irréductiblement opposés pour des raisons touchant aux racines mêmes de la vie, ont conclu des accords par lesquels ils établissent un modus vivendi en matière de possibilités d’agression ». Telle est la « novation historique » de cette « négociation du siècle ». Mais, plus encore, ces traités sanctionnent la position hégémonique des deux Grands, ils consolident la bipolarité militaire d’un monde qui, par ailleurs, est politiquement de plus en plus multilatéral. On note, par exemple, l’absence de la part des signataires de tout recours devant des tiers ou devant une juridiction internationale et le fait qu’ils s’en remettent pour le contrôle à leurs moyens techniques propres (en fait les satellites d’observation, qu’ils sont les seuls à posséder). Les négociations se trouvent ainsi dominées par le hiatus de plus en plus considérable, non pas entre puissances non nucléaires et nucléaires, mais entre les deux Grands d’une part, la France, la Grande-Bretagne et la Chine, d’autre part. « À un clivage du monde qui s’établissait en fonction de données idéologiques s’en est substitué un autre qui repose sur des données technologiques ».
L’auteur n’a-t-il pas tendance à effacer un peu rapidement le clivage entre puissances nucléaires et non nucléaires ? La France est-elle condamnée à ne pas accéder à la technique des ABM et des MIRV ? Il n’en reste pas moins que son livre a un mérite appréciable, celui d’apporter au lecteur l’essentiel des notions, des concepts et de la terminologie de la stratégie nucléaire (que peut-on entendre par « seuil de nucléarisation », par « diversification de la dissuasion », etc. ?) ainsi que des éléments historiques et diplomatiques récents indispensables à une approche sérieuse d’un sujet passablement complexe et dont l’enjeu est la paix du monde. ♦