Vaincre ou mourir à Stalingrad
Ce jour-là, le 31 janvier 1943, s’achève avec la reddition du Feld-Marschall von Paulus la bataille de Stalingrad, la plus grande bataille de la Seconde Guerre mondiale, la plus longue, la plus sanglante aussi, puisqu’elle a coûté la vie à près de deux millions d’hommes et de femmes. Elle marque sans nul doute un tournant décisif dans l’histoire du second conflit mondial ; « c’est à Stalingrad que les gonds du destin ont tourné » a dit Churchill. Pour les uns cette bataille fut une nouvelle raison d’espérer et de lutter, pour les autres elle reste « la plus grande défaite qu’ait jamais subie l’Armée allemande au cours de son histoire, un second Iena » (Walter Gœrlitz).
Pour reconstituer ce gigantesque affrontement. William Craig a utilisé la méthode de récit déjà illustrée par Cornélius Ryan dans Le Jour le plus long. Il a interrogé des centaines de survivants, russes et allemands, civils et militaires ; il a mêlé leurs témoignages, souvent bouleversants, à des documents déjà publiés ou encore inédits, telles ces lettres de combattants arrêtées par la censure de Gœbbels, pour composer une fresque d’une ampleur exceptionnelle qui n’est pas sans rappeler le grand livre de Plievier consacré au même sujet. L’historien pointilleux pourra bien relever ici et là quelques erreurs matérielles et se plaindre amèrement du manque de cartes qui rend parfois malaisée la lecture de cet ouvrage, le livre n’en reste pas moins une réussite incontestable dans un genre pourtant difficile, celui de « l’Histoire racontée par les témoins ».
Le livre une fois refermé, le lecteur ne peut s’empêcher de se poser une question lancinante : pourquoi Stalingrad ? Pourquoi cet acharnement des deux côtés pour un objectif malgré tout secondaire ? Duel de deux volontés indomptables autour d’une ville devenue un symbole ? Certes, il est des explications plus rationnelles. Pour les Allemands, il s’agissait de couper la grande voie de ravitaillement que représentait la Volga. Mais certains chefs, et non des moindres, se sont demandé si du côté allemand on avait vraiment fait tout le nécessaire pour prendre la ville. Du côté soviétique, une chose au moins est claire, les soixante-huit jours de combats de retardement dans les ruines de la grande cité industrielle ont permis au Haut-Commandement de préparer la contre-attaque victorieuse connue sous le nom de code d’Uranus.
Après l’encerclement de la VIe Armée dans le « chaudron » et l’échec de la tentative de percée du Feld-Marschall von Manstein, la situation est désormais sans issue. Tous les généraux le savent, seul Hitler s’obstine à nier l’évidence ; à l’entendre l’évacuation de ce « camp de prisonniers armés » qu’est devenu le réduit de Stalingrad « compromettrait toute la signification de la campagne d’été » ! Dès lors, la lutte prend un aspect irréel, tant les décisions de Hitler échappent aux catégories de la logique ordinaire. « Nous sommes les employés subalternes d’un asile d’aliénés » déclare dans un moment de lucidité exceptionnelle l’un des exécutants de cette politique irrationnelle. Aucun d’eux pourtant ne songea un seul instant à discuter les ordres reçus du Führer auquel ils avaient juré une obéissance aveugle. Les yeux ne devaient se dessiller que plus tard, dans les camps soviétiques. Pour l’heure, Hitler, en saluant le sacrifice des soldats de la VIe Armée comme « une contribution héroïque au plus grand effort de guerre de toute l’histoire allemande », transformait, par la seule magie du verbe, en geste héroïque une horrible défaite due à sa stratégie jusqu’au-boutiste. Tous les combattants ne furent pas dupes, tel ce lieutenant qui écrivait à sa femme : « rappelle-toi que les paroles relatives à des actions héroïques ne sont jamais que des mots… » ♦