Jeanne insultée : procès en diffamation
Le débat autour de Jeanne d’Arc est loin de s’éteindre. Après la vigoureuse empoignade entre Madame Régine Pernoud et Monsieur Henri Guillemin, un nouveau venu, Monsieur Yann Grandeau, se lance dans la bataille ; il le fait avec la fougue du partisan et le sérieux de l’érudit. Le sous-titre du livre est clair : il s’agit d’un procès, d’un vigoureux réquisitoire plutôt, contre les tenants de la bâtardise de Jeanne d’Arc. Et M. Y. G. est un redoutable procureur qui n’épargne personne et manie avec adresse un humour mordant et incisif. Décidément, le calme propice à l’examen objectif des données du problème n’est pas près de revenir. Vivante ou morte, la petite bergère aura été entourée du tumulte des combats.
Mais le grand mérite de M. Y. G. est d’allier à la flamme du partisan la compétence du spécialiste. Les thèses adverses sont minutieusement passées au crible d’un rigoureux examen historique, même les plus baroques dont on peut se demander si elles méritaient cet honneur. L’ouvrage de M. Y. G. donne assurément au débat une tenue qu’il était souvent difficile de trouver jusqu’alors. On ne peut que se réjouir de l’élimination d’une certaine forme d’amateurisme plus proche de la presse du cœur à sensation que de la véritable recherche. M. Y. G. lui porte des coups mortels. Exit le roman-feuilleton ! Enfin !
Cependant, tout en saluant les qualités de l’auteur – dont la moindre n’est pas son acharnement au travail – nous ne pouvons nous défendre de soulever certaines critiques, tenant d’ailleurs plus à la forme de l’œuvre qu’à son fond. M. Y. G. a choisi dix « propositions » parmi les thèses adverses et, après les avoir présentées, il y répond successivement. Le procédé, qui rappelle trop les procès d’Inquisition – mais nous tromperions nous beaucoup en affirmant que M. Y. G. a l’étoffe d’un Grand Inquisiteur ? – n’est pas par lui-même propre à faire apparaître toutes les nuances d’une position. M. Y. G. met tous ses adversaires, modérés ou fanatiques, survivistes ou non, dans un même sac, celui des hérétiques.
En outre, et c’est sans doute le plus grave reproche que l’on peut adresser à l’auteur, en procédant ainsi il se trouve contraint de suivre la démarche même de ses adversaires et ne peut nous présenter son propre raisonnement. Cela donne au lecteur une impression de décousu, souvent renforcée par les redites inévitables dues à la succession de l’exposition et de la réfutation des propositions. La position adverse est ruinée mais que met-on à la place ? M. Y. G. nous dit ce que ne fut pas Jeanne d’Arc – et nous souscrivons volontiers à ses conclusions – mais il ne nous dit pas ce qu’elle fut, ce qui nous laisse sur notre faim.
En définitive, le livre de M. Y. G. apparaît plus comme le fichier préparatoire que l’avocat, au cours de son travail, constitue pour bien garder en mémoire les positions de l’adversaire et les arguments susceptibles d’y répondre, plutôt que comme une démonstration complète et en forme. Nous attendions une synthèse, nous avons un nouveau dossier, excellent, certes, mais qui ne conclut rien et laisse le débat ouvert. Espérons que cette mise au point objective si nécessaire des problèmes viendra bientôt. Peut-être M. Y. G. en sera-t-il l’auteur. Nous le souhaitons vivement car il a toutes les capacités requises pour mener à bien pareil travail. ♦