La conspiration de Hiro-Hito
À première vue, il ne s’agit que d’un livre de plus sur la guerre du Pacifique, sujet déjà largement et presque exhaustivement traité, sous tous ses aspects possibles et imaginables, par une multitude d’auteurs en Europe comme aux États-Unis. Et cependant cet ouvrage se distingue de tous les autres par la thèse assez inattendue, pour ne pas dire inédite, qui est sa raison d’être et son point d’appui. Cette thèse est la suivante : la politique agressive du Japon en Asie depuis 1930, l’attaque par surprise de Pearl Harbour, l’extension des hostilités à l’ensemble du Sud-Est Asiatique et du Pacifique, la résistance désespérée de la dernière année de la guerre – tout cela a été voulu, conçu, préparé, exécuté par la seule volonté de l’empereur Hiro-Hito, ce personnage soi-disant fallot, timide et effacé, qu’on a toujours présenté comme manipulé à leur guise par les militaires japonais et leurs complices de la grande industrie et de la haute finance !
Cette nouvelle clé de toutes les énigmes et de toutes les contradictions apparentes du Japon de la première moitié du XXe siècle permet à David Bergamini de présenter le déroulement des événements sous un éclairage tout à fait nouveau et inhabituel. Il exploite d’ailleurs à fond les possibilités de dramatisation ainsi offertes, en faisant fi de la pondération qui siérait à un historien ou à un chroniqueur et en adoptant une sorte de style direct et percutant, genre grand reportage d’actualité, qui tend à faire croire que de mystérieux témoins étaient cachés en permanence dans les microphones des appareils téléphoniques du palais impérial et que des cellules photographiques enregistraient le moindre froncement de sourcils de Sa Majesté ou de ses ministres réunis en conseil.
Toute cette prestidigitation se révèle finalement payante, puisqu’elle contribue à faire de ce livre un « thriller » de toute première force, qu’on a du mal à quitter une fois qu’on s’y est plongé et dont on tourne à regret la dernière page.
Ceci dit, et une fois son plaisir pris, le lecteur estimera sans doute oiseux de se tourmenter pour savoir ce qu’il y a de vrai dans la thèse de David Bergamini. Dans la mesure où l’auteur lui-même s’en soucie, il ne nous aide guère à nous faire une opinion. Son ouvrage ne comporte aucune bibliographie, aucune sorte de référence en bas de page, aucune citation. Dans son avant-propos, Bergamini – il parle couramment le japonais, étant né au Japon et y ayant longtemps vécu – fait bien allusion à de mystérieuses confidences, à des documents qu’on lui aurait montrés, à de troublantes découvertes faites dans les archives de certains services secrets, à des coupures de journaux qui n’avaient pas été, en leur temps, correctement interprétées, etc. Mais il faut le croire sur parole, car, chut !.. aucun nom ne doit être prononcé, aucune référence précisée, aucun texte reproduit. Il n’est fait d’exception à cette discrétion extrême que pour les mémoires du général Sugiyama, chef d’état-major de l’armée de terre, parus en 1967, c’est-à-dire 22 ans après le suicide de l’intéressé en 1945. Mais personne, paraît-il, ne les a lus, sauf l’auteur.
L’ouvrage est préfacé par Sir William Floob Webb qui fut le président australien des procès des criminels de guerre japonais. Sir William se dit très intéressé et quelque peu intrigué par les « découvertes » de David Bergamini. Mais il est loin de dénier toute vraisemblance à sa thèse. Si non e vero… ♦