Pétain, Général en chef (1917-1918)
Voilà un livre important. Il est d’abord signe d’une intéressante évolution des universitaires face à l’étude de la guerre. La trop grande indifférence à cet aspect de l’histoire que l’on a pu constater chez de nombreux historiens paraît désormais battue en brèche par une prise de conscience : l’étude des guerres ne peut plus être reléguée en quelques lignes furtives. L’accent mis – justement – sur l’étude des structures socio-économiques et des mentalités n’est pas inconciliable avec une approche sérieuse du phénomène guerre sous tous ses aspects. Guy Pedroncini le dit avec beaucoup d’autorité dans sa préface.
Il est d’ailleurs particulièrement qualifié pour le faire puisque, pendant des années, il s’est penché sur les archives des années de guerre 1917-1918, dans le cadre d’une thèse d’État qu’il a défendue brillamment en Sorbonne. Le fruit de ses longues recherches, ce fut d’abord Les Mutineries de 1917, cet ouvrage définitif qui met un terme avec netteté à toutes les légendes et rumeurs qui se sont propagées pendant cinquante ans à ce sujet. C’est maintenant Pétain, général en chef qui vient de paraître et qui est le condensé de sa thèse monumentale sur le même sujet.
Étudier le commandement de Pétain en 1917-1918, c’était se heurter à deux obstacles : une tradition historique française qui assimile Pétain à Verdun et fait de Foch le seul et incontestable vainqueur de 1918. Deuxième obstacle, et celui-ci majeur : on n’étudie désormais Pétain qu’à travers le prisme déformant de sa carrière ultérieure. Et tout est brouillé.
Un des plus incontestables mérites de Guy Pedroncini est d’avoir su franchir ces obstacles. Sous la direction du doyen Renouvin, il était parti sans idées préconçues dans cette longue recherche sur le commandement des armées françaises par Pétain de mai 1917 à l’armistice de 1918. Le résultat est tel, il bouleverse tant d’idées reçues, qu’un des membres de jury lui reprochera d’être devenu trop favorable au général Pétain. N’était-ce pas parce que l’idée que l’on se faisait de Pétain en 1917 et 1918 – tacticien sans idées stratégiques et toujours pessimiste – expliquait beaucoup plus facilement le Pétain de 1940 que celui dont l’auteur nous brosse un si vigoureux portrait ? Car ce Pétain est tout autre. C’est probablement de tous les généraux français celui qui a le mieux perçu que la guerre entrait au stade industriel et qui a su, dès 1917, en tirer les conséquences les plus justes, en particulier pour l’emploi des nouveaux matériels (chars et avions notamment). Et c’est lui qui affirme : « On ne peut plus se battre à coups d’hommes ».
Pétain, refusant de se lancer dans des offensives inconsidérées, avait défini avec précision une nouvelle organisation du front, fondée sur un échelonnement de la défense en profondeur – quitte à perdre du terrain. Opinion si sacrilège que l’on ne compte plus les désobéissances à de telles directives. Il fallut le désastre du Chemin des Dames pour que Pétain pût enfin imposer ses conceptions à tous ses grands subordonnés. Que cette organisation défensive ait permis de disloquer l’offensive allemande en Champagne en juillet 1918, c’est incontestable et Guy Pedroncini le souligne bien. Mais ce qui est particulièrement neuf dans sa démonstration, c’est le Pétain stratège, qui élabore une stratégie originale et audacieuse, de prise de gages territoriaux, après une rupture du front de Haute-Alsace.
Ce que l’on comprend moins après cette étude passionnante, c’est le cheminement intellectuel de Pétain après 1918. Il y a continuité entre le colonel Pétain, professeur d’infanterie à l’École Supérieure de Guerre, qui condamne en 1909 tous les règlements en vigueur dans l’armée française, et le général en chef de 1917. Mais après ? Guy Pedroncini a déjà dû se poser la question. À la lecture de son livre, si dense et si solidement documenté, il apparaît comme le plus qualifié pour donner une réponse à cette question. ♦