Libération de la Corse
Noël 1942 : trois officiers français « en congé d’armistice » franchissent les Pyrénées près de Bourg-Madame. L’un d’eux, un jeune breveté d’état-major, le commandant Fernand Gambiez, qui appartient à l’Organisation de résistance de l’Armée (ORA) et qui va, dès son arrivée à Alger, après quatre mois de prison à Barcelone, former, avec des garçons venus comme lui de France et partageant son ardeur à reprendre le combat, une unité d’élite qui ne cessera de glaner les hauts faits. Formée à l’école des commandos anglais près d’Alger, imprégnée de leur esprit d’audace, rompue à leurs méthodes d’attaque par surprise et d’embuscade par petits groupes, sa première mission va être de débarquer en Corse pour y prendre le relais des « patriotes » insurgés, y semer la terreur sur les arrières de l’ennemi et le contraindre à évacuer l’île dans une ambiance de déroute.
Mais, si brillante qu’ait été cette action des « chasseurs de choc », leur ancien commandant, aujourd’hui président de la Commission française d’histoire militaire et vice-président de la Commission internationale d’histoire comparée, ne pouvait se limiter à la relation de leurs exploits. La nouvelle collection « Libération de la France » dirigée par Henri Michel, président du Comité international d’histoire de la Seconde Guerre mondiale, appelait une vue plus élevée que ce niveau tactique et une compréhension historique et stratégique de l’extraordinaire épisode que constitua la libération du premier département français, réalisée par les Français seuls, grâce à une double action, celle des résistants du dedans et celle des résistants du dehors, comme ce sera un an plus tard, le cas de Paris. C’est donc à juste titre que, dans sa préface, Henri Michel qualifie cette libération d’« événement hautement symbolique ».
Illustrant cette forme d’action à laquelle il donnera plus tard le nom, désormais classique, de stratégie indirecte, le général Gambiez nous révèle les aspects politiques de cette affaire. L’opération Vésuve coïncide, en effet, avec une grave crise politique au sein du gouvernement d’Alger, crise qui se terminera peu après par l’éviction du général Giraud. L’ancien commandant du Bataillon de choc retrace la genèse de l’opération et sa préparation par l’état-major du général Giraud qui, appliquant à la lettre la consigne de secret qu’il reçoit des Alliés, se garde bien de mettre au courant, sinon à la toute dernière minute, le chef de la France libre. Finalement, les Alliés refusent d’accorder à l’opération tout appui naval et aérien afin de ne distraire aucune force du débarquement en cours à Salerne. En lançant vers l’île, le 12 septembre, les trois compagnies du Bataillon de choc embarquées sur le légendaire sous-marin du commandant Lherminier, le Casablanca, et les croiseurs légers Terrible et Fantasque, le général Giraud prend donc sur lui un risque énorme. À sa décharge, il est juste de dire – et le livre du général Gambiez le souligne – qu’il a la main forcée par le Front national, organe de la Résistance unifiée en Corse, qui vient de déclencher le soulèvement général de l’île. Il est vrai aussi que les patriotes corses se battent magnifiquement sous les ordres du commandant de gendarmerie Colonna d’Istria et qu’ils sont ardents à libérer la terre corse et à venger leurs martyrs, tel le lieutenant Scamaroni. Il est vrai enfin que, par une chance qu’on ne peut dire totalement inattendue, puisque des officiers italiens comme le colonel Cavagnoni ont déjà pris contact avec la Résistance, les troupes italiennes du général Magli retournent leurs armes contre les unités allemandes, à Bastia notamment, et que ce retournement permet au Bataillon de choc de tenir à Ajaccio une tête de pont jusqu’à l’arrivée des premiers éléments de la 4e Division de marche marocaine.
L’ouvrage n’est pas moins intéressant, enfin, par ce qu’il retrace du rétablissement de l’autorité du gouvernement dans l’île libérée, le Parti communiste, acteur important du Front national, ayant choisi de jouer le jeu de la légalité républicaine. Au total, l’opération Vésuve fut, à l’échelle d’un département et en quelque sorte en vase clos, une expérience riche d’enseignements pour la future libération de la métropole. Il était donc tout indiqué d’en faire l’objet du premier livre de la collection « Libération de la France » et M. Henri Michel ne pouvait choisir meilleur auteur que le général Gambiez qui en fut l’un des principaux acteurs. ♦