À l’assaut du futur
L’étude du futur – la « futurologie » comme on a de plus en plus tendance à l’appeler – est maintenant solidement implantée aux États-Unis et commence à exercer ses séductions en Europe, pour le moment encore surtout par l’intermédiaire de traductions. Cette nouvelle discipline, qui se veut scientifique, a commencé par créer son vocabulaire. Au néophyte, ce vocabulaire donne froid dans le dos. En apprenant qu’un certain paradigme se trouve être un instrument heuristique très utile pour la description critique d’une culture sensate, il y a de fortes chances pour que la plupart des lecteurs sentent leur intelligence se recroqueviller.
Cette discipline a aussi ceci de particulier que nul ne saurait, à moins d’être ravalé au rang d’un Jules Verne, d’un H.G. Welles, ou d’un Aldous Huxley, la pratiquer en franc-tireur. Il faut une équipe, et de préférence un Institut, ce qui signifie en général de très nombreux chercheurs dans de nombreux domaines et de confortables crédits, de préférence gouvernementaux.
Le Hudson Institute est, aux États-Unis, le plus réputé et le plus prospère de ces établissements. Le Gouvernement des États-Unis (et il n’est pas le seul) ainsi qu’un certain nombre de grandes entreprises, surtout multinationales, lui ont passé commande de formuler des prévisions économiques et politiques pour les quinze années à venir et pour le monde entier. Ce travail est en cours. À l’assaut du futur, signé par le directeur bien connu de l’Institut, Herman Kahn, et un de ses membres, constitue quelque chose comme les prolégomènes, plus spécialement destinés au grand public cultivé, de l’étude finale.
C’est dire que les auteurs ont tout de même essayé de rendre leur texte plus facilement assimilable que ne le laisserait supposer l’extrait cité plus haut. Ils ne nous cachent pas d’ailleurs que leur but ici est d’apprivoiser le public et de lui faire prendre goût et attacher créance, sinon aux raisonnements, du moins aux conclusions « boule de cristal » de l’Institut.
Dans une certaine mesure, ce but peut être considéré comme atteint, d’autant plus que les conclusions en cause, qu’il s’agisse de la guerre atomique, de la contre-culture, de la technologie, ou de la société postindustrielle, sont plutôt rassurantes du moins jusqu’en 1985. ♦