Enterre mon cœur à Wounded Knee
La conquête de l’Ouest américain a longtemps été présentée comme une des plus exaltantes aventures de l’homme blanc. Plusieurs générations d’historiens ont contribué à mettre en lumière ses aspects héroïques. Plusieurs générations d’écoliers se sont enthousiasmées pour le courage de ces pionniers hardis, épris d’idéal, ouvrant à la civilisation, au péril de leur vie, d’immenses espaces inexplorés, peuplés de bisons et d’Indiens sauvages, rusés et cruels. Ces emballements juvéniles ont donné naissance plus tard à la tradition toujours tenace des westerns.
Dans quelle mesure toute cette imagerie d’Épinal, complaisamment répandue, correspond-elle à la réalité des choses ? C’est à cette question que Dee Brown cherche à répondre, en s’adressant, dans une étude quelque peu romancée, mais solidement étayée par les faits, au grand public américain. À l’origine de son entreprise se trouve cette constatation que tous les témoignages relatifs à la colonisation de l’Ouest, qui ont permis de bâtir la légende, ont été fournis par des Blancs. Et pour cause ! Les Indiens ne savaient pas écrire et l’écho de leurs traditions orales a été étouffé à l’intérieur des réserves où furent parqués les survivants des massacres.
Dee Brown a cherché à imaginer ce qu’auraient été les récits de la conquête si elle nous avait été contée par les Indiens. Entreprise évidemment fort aléatoire, qui a demandé beaucoup d’imagination et ne pouvait aboutir à quelque chose de cohérent que dans la mesure où elle s’appuyait sur un certain nombre de convictions acquises antérieurement, indépendamment de l’étude des événements, telles que, par exemple, l’absence de tout scrupule de la part du gouvernement américain, la brutalité des militaires chargés des opérations, la monstrueuse cupidité des pionniers, la volonté délibérée de génocide ouvertement proclamée par leurs dirigeants, et, à l’opposé, la douceur des mœurs et la loyauté naturelle des Indiens, etc.
En fait, il ne nous paraît guère douteux que l’auteur ait cherché un rapprochement entre la guerre de l’Ouest américain et celle du Vietnam. La contestation dont a été l’objet cette dernière a été transposée par lui cent ans en arrière. Dans cette optique des années « 60 » du XXe siècle, la saga héroïque de l’expansion des États-Unis apparaît comme une page honteuse de son histoire. La mode nouvelle de tout remettre en question qui sévit outre-Atlantique a ainsi assuré la diffusion de l’ouvrage.
Car celui-ci, tiré en 1970 à 3 000 000 d’exemplaires, a été un énorme succès de librairie, qui n’est pas immérité d’ailleurs : le récit est vivant, l’écriture alerte et les événements relatés passionnants, indépendamment de l’éclairage.
La traduction française de Gisèle Bernier est excellente. ♦