De l’isolationnisme américain
La politique étrangère des États-Unis oscille traditionnellement entre les deux thèmes majeurs de l’isolationnisme et de l’interventionnisme. Le contenu doctrinal de ces expressions et les impératifs d’action qu’ils recouvrent ont beaucoup changé au fil des années, mais on continue à les utiliser – comme en Europe les termes de Whigs et de Tories, de gauche et de droite – pour caractériser deux conceptions opposées du rôle des États-Unis dans le monde.
La guerre froide a marqué un des sommets de l’interventionnisme, au point que le terme même d’isolationnisme a pu prendre, vers cette époque, un sens péjoratif, synonyme d’abandon et d’absence de réaction efficace devant la menace que le communisme mondial faisait peser sur la sécurité même des États-Unis. Mais cette répugnance de l’opinion pour la passivité impliquée par la non-intervention devait peu à peu s’atténuer en présence de nouvelles analyses, plus réalistes, des conditions stratégiques nées d’une situation d’équilibre nucléaire et, un peu plus tard, devant les incertitudes et les échecs de l’intervention au Vietnam. De sorte qu’aujourd’hui, à condition de procéder à une révision réfléchie de ce qu’impliquait l’isolationnisme pour la génération de la Seconde Guerre mondiale, on peut se demander si une sorte de néo-isolationnisme ne pourrait pas devenir, d’ici quelques années, la doctrine officielle des États-Unis.
L’étude extrêmement dense et fouillée de Robert W. Tucker représente une tentative pour répondre à cette interrogation. L’auteur analyse avec beaucoup de précision le rôle des différents agents susceptibles d’influer sur l’orientation future de l’action extérieure des États-Unis. Parmi ces agents, il attribue une place et une importance particulières à l’opinion publique au sens large du terme, à l’opinion des élites universitaires, à celle du Président et à celle de l’establishment. Chacun de ces agents réagit différemment et il n’est pas facile de prévoir la composante finale de cet ensemble de tendances souvent divergentes.
C’est pourquoi les raisonnements rigoureux et élégants de Robert W. Tucker ne sont pas toujours aisés à suivre, d’autant plus que la traduction (peut-être parce qu’elle s’efforce de suivre de trop près la phrase américaine) ne facilite pas la tâche du lecteur français. Néanmoins, tous ceux qui connaissent l’Amérique et les Américains ne manqueront pas d’être intéressés par cet effort de prospective politique d’autant plus remarquable et original qu’il fait appel à l’étude de la psychologie individuelle et de groupe plus volontiers qu’à l’interprétation des statistiques. Notre avenir à tous – et on peut sans doute le déplorer – est très directement concerné par l’attitude des Américains dans presque tous les domaines. « Menace ou espoir ? » est le sous-titre du livre. ♦