La nuit finira. Mémoires de Résistance 1940-1945
Maintenant que se sont apaisés les remous provoqués par la publication des souvenirs d’Henri Frenay sur la Résistance, on peut essayer de voir plus clair dans les intentions de l’auteur et de dépouiller son ouvrage du subjectivisme dans lequel il s’est incontestablement quelque peu empêtré.
Notons d’abord qu’à notre avis, Henri Frenay n’a pas voulu faire un ouvrage de polémique. Il n’a sans doute pas été surpris des passions déchaînées par certaines de ses appréciations sur les hommes et les événements, mais il a dû les déplorer très sincèrement, car son livre n’a certainement pas été écrit pour assouvir des rancœurs et moins encore pour nuire à tel ou tel acteur responsable de la Résistance, ni pour ternir des réputations bien établies. Il a cherché à présenter la Résistance comme un tout, comme un ensemble d’activités complexes très diverses – les siennes, comme celles des autres – concourant toutes à un même but. La composante d’un système de forces ne prend pas plus spécialement en compte l’une de ses composantes au détriment des autres : toutes jouent un rôle dans la poussée finale. Vus sous cet angle, et avec le recul de 30 ans que s’est donné l’auteur, les véritables opinions politiques d’un Jean Moulin ou les cheminements obscurs des combinaisons échafaudées à Londres, ne peuvent pas contrebalancer l’immense acquis commun d’héroïsme, de dévouement, d’intelligence et de patriotisme qui a donné son vrai visage à la Résistance. En tout cas, Henri Frenay ne l’a pas pensé et il ne s’est pas cru en droit – car quels sont donc ces tabous que d’autres songent à lui opposer ? – de taire les impressions ressenties sur le moment ou de réviser les jugements portés dans le feu de l’action.
Car la totale sincérité du témoignage d’Henri Frenay nous a paru le principal attrait de son livre, de même que la sincérité dans l’action est la principale caractéristique de l’homme. Certes ! le combat qu’il a entrepris l’un des premiers, et presque solitaire, n’était pas exempt dans ses motivations, d’une certaine naïveté politique à la Rousseau. Il a fallu tous les contacts qu’il a peu à peu pris avec des hommes plus expérimentés et – pourquoi ne pas le dire ? – plus avisés que lui, pour lui faire perdre une partie de ses illusions et le doter de ce minimum de réalisme qui est nécessaire à une action vraiment constructive. Mais ces contacts, il les a recherchés, malgré les désillusions qu’il a pu parfois en éprouver, parce qu’il les sentait indispensables et qu’il avait une notion très juste et très généreuse de la complémentarité dans l’effort. Pour tout dire, Henri Frenay apparaît tout au long de l’action qu’il a menée, comme un modèle d’homme de bonne volonté, dans le sens le plus noble du terme.
Mais au-delà des caractères et des opinions, ce sont les événements qui sont le principal sujet du livre. Henri Frenay se révèle un excellent narrateur qui a le don de créer l’ambiance, d’exciter la curiosité, de ménager la surprise. On se laisse entièrement prendre par son récit, on veut connaître la suite, on tourne fiévreusement les pages… On revit avec lui le prodigieux et dramatique roman de son existence clandestine au service de son idéal et de son pays. Le pamphlet politique – si pamphlet il y a – passe dès lors entièrement au second plan et c’est certainement mieux ainsi. ♦