Mémoires sur la guerre des Camisards
Les souvenirs de guerre des partisans sont rares, et souvent peu fidèles à l’exactitude historique. Un partisan écrit peu, ne doit pas conserver d’archives. Ses souvenirs seront souvent rédigés de mémoire. Cette remarque est d’autant plus applicable aux Camisards que ceux-ci, des paysans, tenaient plus facilement une charrue ou un fusil qu’une plume. Il s’ensuit que les documents de source camisarde sont très rares. On y compte les mémoires de Jean Cavalier, l’un des deux grands chefs, avec Roland, de l’insurrection protestante des Cévennes (1702-1705).
Ces mémoires auraient été rédigés quelques années après le départ en exil de Cavalier, mais ne furent publiés qu’en 1726 à Dublin. Ils ne sont pas exempts d’erreurs de chronologie, que répare, par de nombreuses rectifications infrapaginales, un traducteur attentif et savant. Et s’ils ne couvrent pas toute la guerre des Cévennes – le récit s’attachant plus particulièrement aux activités de Cavalier – ils n’en constituent pas moins un récit très évocateur d’une guerre de religion – guerre idéologique où la violence se combine à la ruse, où le cycle exactions-répression se déchaîne au grand dommage des populations.
Aide-boulanger, engagé dans la lutte par conviction profonde, vite reconnu malgré ses vingt-et-un ans comme chef par tous ceux qui, comme lui, ont décidé de lutter par les armes pour la liberté de conscience, Cavalier traitera d’égal à égal avec le maréchal de Villars, avant d’abandonner la lutte. Parti ensuite à l’étranger (1704), colonel au service du duc de Savoie puis du roi d’Angleterre, il terminera sa carrière comme major-général et gouverneur de Jersey avant de s’éteindre à Chelsea en 1740, sans jamais être revenu en France.
À travers son récit, on assiste à la naissance de la révolte cévenole, à son développement, à son organisation spontanée par des chefs qui se révèlent sur le terrain et redécouvrent les lois de la guérilla éternelle face à une armée de plus en plus nombreuse, relativement statique et timorée mais implacable dans sa répression. Pendant un an (1702-1703), les troupes de Broglie et de Montreval sont mises en échec ; les chefs sont relevés. Louis XIV envoie alors Villars. Celui-ci bénéficiera d’une chance insolente : dans les derniers jours de son commandement, son prédécesseur, Montrevel, obtient, par les armes, deux succès éclatants : à la bataille de Nages, les troupes de Cavalier sont cernées ; il s’échappe à grand-peine ; aux grottes d’Euzet, tous ses dépôts clandestins sont saisis. La situation du chef camisard est telle que Villars se fait entendre aisément quand il promet la clémence du roi et la satisfaction « de justes demandes » des rebelles. Les derniers chapitres s’étendent sur cette négociation, puis sur le voyage de Cavalier à Versailles où, selon lui, il aurait été reçu par le roi, ce que contestent de nombreux historiens. Ces chapitres apparaissent surtout comme un plaidoyer pro domo, de nombreux contemporains ayant reproché à Cavalier d’avoir abandonné le combat sans l’assurance que seraient tenues les promesses qui lui avaient été faites, et pour un simple grade de colonel. On opposait ainsi son attitude à celle de Roland qui, ayant refusé l’accord Cavalier-Villars, reprit la lutte et mourut au combat en août 1704.
Cette nouvelle édition des mémoires de Cavalier est particulièrement intéressante. Son traducteur-présentateur, Frank Puaux, fervent admirateur de Cavalier, l’a enrichie de nombreuses annotations qui éclairent le texte, grâce à des extraits de lettres et de rapports de l’époque. L’ensemble constitue donc un document de grande valeur sur une insurrection dont le souvenir marque toujours les Cévennes. ♦