Conflits et coopération entre les États
« Les auteurs qui ont écrit les chapitres de ce livre ont voulu chacun analyser les mécanismes d’un épisode majeur et récent dans les relations internationales, ou les comportements et motivations de l’un de leurs protagonistes. Ils l’ont fait en éclairant de préférence les événements marquants de l’année 1971 ». Ainsi définie par M. Jean Meyriat, l’intention qui a présidé à la conception et à la réalisation de ce volume est, en soi, excellente. Mais elle est plus ambitieuse. « Il s’agit, écrit encore M. Jean Meyriat, de dégager les tendances actuelles des relations politiques internationales et de reconnaître le sens dans lequel elles évoluent ». Et l’on peut alors se demander si cet objectif a été vraiment atteint.
Le succès de l’Ostpolitik du chancelier Brandt, l’élargissement de la Communauté européenne [NDLR 2020 : au Danemark, à l’Irlande et au Royaume-Uni le 1er janvier 1973], le règlement du problème de Berlin, l’admission de la Chine communiste à l’ONU, l’annonce de la visite du président Nixon à Pékin et à Moscou, l’aggravation de la crise monétaire et la dévaluation du dollar, la guerre indo-pakistanaise et l’indépendance du Bangla Desh [Bengladesh], ont certainement constitué un éventail d’événements à la fois importants et significatifs en eux-mêmes et par leur concomitance ; il est bien vrai que ces événements ne sont pas unis les uns aux autres par des rapports de causalité. « Mais, écrit le professeur Marcel Merle, le comportement des acteurs, sur les différents champs d’opération où ils se sont affrontés, semble bien obéir à de nouvelles règles ou, si l’on préfère, à de nouvelles contraintes qui dessinent une configuration des rapports internationaux assez différente de celle qui avait prévalu depuis 1945 ». Cette évolution, selon M. Merle, « consacre le passage de la bipolarité à la multipolarité ».
C’est ici qu’il faut faire une critique du livre. En soi, chacun de ses chapitres est excellent. Mais leur juxtaposition ne rend pas compte d’un fait fondamental : s’il y a multipolarité, c’est sur le plan politique, et quels que soient les potentiels nucléaires de la France et de la Chine, sur le plan militaire la bipolarité s’est accentuée, les États-Unis et l’Union soviétique disposant seuls, encore, des instruments par lesquels se caractérise ce que l’on peut définir comme « le second âge nucléaire », les missiles antimissiles et les engins à ogives multiples. En 1971, l’accord de Moscou sur la limitation des armements stratégiques était en gestation [SALT I] : on regrettera que pas une page ne lui ait été consacrée, alors qu’il concrétisait un fait majeur. Qualifier, comme le fait M. Merle, les causes de l’équilibre nucléaire de « raisons purement accidentelles » nous paraît surprenant, car l’effort de stabilisation résulte précisément de l’accord des deux grands partenaires-adversaires, de ceux que Raymond Aron a appelés « les grands frères ennemis », la logique nucléaire s’étant imposée aux antagonismes idéologiques. Cette observation n’ôte rien à la valeur du livre, elle en précise une insuffisance. 1971 restera une « année-charnière », dont, à l’exception ci-dessus, on retrouve ici les aspects principaux. M. Merle pose en outre un problème considérable, celui de la crise de l’État-nation. « Dans la chaîne des contradictions qui affectent et qui affecteront le monde de la fin du XXe siècle, il y a tout lieu de penser que c’est l’État-nation qui constitue le maillon le plus faible. Plus que du sort des alliances ou des rapports de force, c’est de la manière dont cette institution séculaire, mais non forcément éternelle, parviendra à surmonter sa crise, que dépend l’avenir des relations internationales ». ♦