L’utopie ou la mort
Écrivain et expert agronome, parcourant le monde de la faim et des « paysanneries aux abois », du Bangladesh à l’Afrique noire et aux Andes, pour tenter de trouver des solutions aux tragiques manifestations du sous-développement, René Dumont en est venu, on le sait, à la conviction que seuls les modèles de développement inspirés par une visée socialiste peuvent rendre quelque espoir au Tiers-Monde.
Mais – le titre nous le dit – il ne s’agit plus seulement de cela ici : il s’agit des perspectives catastrophiques auxquelles nous mènent nos comportements occidentaux bornés et égoïstes. Nous nous conduisons, en effet, comme si les ressources naturelles étaient notre propriété exclusive et comme si elles étaient inépuisables. Nous pillons les richesses minières et minérales du Tiers-Monde, nous gaspillons, nous polluons allègrement, soumis que nous sommes à la dialectique de la loi du profit, de l’explosion démographique et des taux de croissance exponentiels. Cependant les pays pauvres sont de plus en plus démunis et dominés, leur malnutrition s’aggrave et leur niveau de vie déjà bien bas se détériore rapidement. Un chien américain, nous dit René Dumont, dépense plus qu’un Indien ! Si nous nous obstinons dans cette attitude aberrante et égoïste, nous allons sûrement, et à grands pas, vers l’asphyxie de nos sociétés et nous acculons à la révolte des masses humaines affamées. L’accumulation des armes nucléaires risque de transformer ces soubresauts violents en apocalypse. Et l’auteur de noter que, face à ces menaces, nos sociétés occidentales complexes, avec leurs conurbations démentielles, sont bien moins aptes à survivre que les sociétés rustiques de type africain ou asiatique. C’est d’ailleurs dans un modèle inspiré de la Révolution chinoise que l’auteur voit un espoir de solution.
Il s’agirait d’instaurer une « société sans mépris », c’est-à-dire société où l’enseignement serait réconcilié avec les réalités de la vie, et où le travail manuel serait réhabilité du fait que chacun en prendrait sa part et que le PDG aussi bien que le professeur saurait le prix de l’effort sur l’outil ou de la fatigue devant la machine. Utopie ? Seule nous paraît utopique la condamnation que l’auteur, en sacrifiant à la mode du jour, prononce contre les armements. Mais la Chine à laquelle il se réfère précisément n’est-elle pas une puissance nucléaire ?
S’étant consacré corps et âme à la lutte contre le sous-développement, M. René Dumont apparaît comme l’un des maîtres à penser en ces matières et comme l’un des praticiens y ayant acquis l’expérience la plus ample. Raison de plus, même si l’on juge son livre par certains côtés parfois excessif, pour réfléchir à la gravité des faits qu’il présente et pour prêter attention à l’avertissement qu’il lance. ♦