La Prusse Rouge
Depuis bientôt vingt ans, en rangs de plus en plus serrés, les Français – qu’il s’agisse d’hommes politiques, de fonctionnaires, d’ingénieurs ou de simples touristes – visitent l’URSS. La vie « quotidienne » des Russes et non seulement leurs œuvres d’art, leurs théâtres, leurs usines et leurs paysages, sont de mieux en mieux connus, bien que diversement appréciés.
Rien de tel pour l’Allemagne de l’Est. En dehors des visiteurs traditionnels de la Foire de Leipzig, très rares sont les Français à avoir franchi le Mur. Aucune propagande, ni aucune facilité, particulièrement dans le domaine touristique, ne les y incitent. Ils ne connaissent de la République démocratique d’Allemagne (RDA) que ce qu’ils en lisent dans les journaux ou ce que leur en montre – fort parcimonieusement – la télévision.
C’est pourquoi l’enquête très approfondie (bien plus qu’un simple « coup d’œil », comme pourrait le faire croire l’intitulé de la collection où elle a paru) effectuée tout récemment dans ce pays, à l’intention du grand public, par Nicolas Martin, doit être considérée comme importante.
C’est une enquête très bien menée. Elle ne néglige aucun des aspects de la vie du pays. L’auteur cherche chaque fois que c’est possible, à rattacher ses observations au contexte historique, et il le fait avec beaucoup de mesure, en refusant les idées préconçues et les fils conducteurs complaisamment tendus par des idéologies rivales. Il amène ainsi le lecteur à réfléchir par lui-même au très curieux avatar du socialisme marxiste-léniniste implanté dans ce pays encore fortement imprégné de l’esprit des junkers prussiens. On découvre ainsi avec étonnement l’énorme différence qui peut exister entre deux régimes communistes suivant qu’ils ont été plaqués, pour l’un sur le caporalisme dominateur de la Prusse, et pour l’autre, sur l’anarchisme fataliste de la Russie.
Dans la conclusion prospective de son étude, l’auteur cite cette confidence du général de Gaulle à l’un de ses proches : « Je ne crois pas que la situation de division puisse durer longtemps en Allemagne. On ne peut avoir deux Allemagne. Mais il y a fort à parier que cette réunification se fera par absorption : l’une mangera l’autre. Et, comme d’habitude, ce sera la Prusse qui gagnera… »
Pour Nicolas Martin, la question reste ouverte. Mais qu’elle puisse aujourd’hui se poser en ces termes en conclusion de son livre, illustre à la fois la rigueur de son analyse et l’importance du sujet. ♦