Vietnam 45
Ce livre, rédigé avec beaucoup d’honnêteté et de sérieux, est une des premières tentatives faites, à notre connaissance, pour présenter la guerre du Vietnam dans sa continuité historique, c’est-à-dire sans tenir compte plus qu’il ne convient de la césure de 1954 (accords de Genève) qui, dans la perception courante des événements, a incité à tort le public à faire une distinction fondamentale entre la guerre « française » et la guerre « américaine ».
Au Vietnam même – qu’il s’agisse du Nord ou du Sud – il paraît certain que les dirigeants, comme la population, ont vécu et apprécié ces deux guerres à peu de choses près de la même façon. Face aux Français, comme face aux Américains, les buts de guerre : indépendance, unification, n’étaient-ils pas exactement les mêmes ? Et puisqu’il s’agit, après tout, d’événements spécifiques de l’histoire du Vietnam, beaucoup plus que d’une péripétie de l’actualité française ou américaine, l’approche de Jacques Suant est certainement la mieux appropriée pour dégager la vérité historique et la signification de cette période.
Ceci dit, notons cependant que dans le cas particulier, la démarche de l’auteur n’est pas précisément celle d’un historien. Elle est plutôt, pour la période française, celle d’un témoin des événements et, pour la période américaine, celle de ce qu’on pourrait appeler un observateur averti. De sorte que, paradoxalement, la césure que Jacques Suant a volontairement voulu éviter dans l’enchaînement des événements, réapparaît, comme malgré lui, dans l’inspiration et le rythme de son récit.
Son témoignage relatif aux années 1945-1954 est celui d’un officier ayant acquis son expérience comme exécutant sur le terrain et dans les discussions souvent si passionnées des « popotes », où l’on réfléchissait souvent beaucoup mieux et plus objectivement aux véritables finalités de la guerre que dans les états-majors de rang élevé. Mais on y était quand même moins bien documenté sur les tenants et aboutissants réels de la situation. De sorte que le témoignage produit vaut beaucoup plus par des notations d’ambiance que par une reconstitution à proprement parler historique des événements.
Quant à la période 1954-1972, le principal mérite de Jacques Suant est de ne pas s’être laissé abuser par le matraquage publicitaire des « mass media » essayant de « vendre » au public tous les avatars successifs de la politique des États-Unis au Vietnam qui a fait appel tour à tour : d’abord aux conseillers, puis aux forces de manœuvre avec leurs stratèges étoilés, et enfin à la vietnamisation. Mais, guère plus qu’un autre, l’auteur n’a su, et ne sait, ce qui se passait ailleurs que sur le devant de la scène.
Le lecteur appréciera certainement les notes réunies en fin de volume. Ce sont des extraits de documents officiels dont on a souvent oublié le véritable contenu et la signification, comme la Déclaration du Gouvernement français du 24 mars 1945 ou les Accords de Genève de 1954. Mais ce sont également ce que l’auteur appelle des « Opinions et Attitudes » qui reproduisent des passages de déclarations faites, à un moment ou à un autre du conflit, par les principaux responsables des deux partis. On y trouve matière à de bien curieuses réflexions.
Une chronologie fort utile complète cet ouvrage sans prétentions exagérées, mais que ne sauraient négliger tous ceux qui restent toujours sensibilisés à ce que furent les péripéties du drame vietnamien. ♦