L’église clandestine en Union soviétique
Bien que la situation de l’Église orthodoxe en URSS soit un sujet fréquemment abordé dans les conversations en France, il n’existe pas, à notre connaissance, d’ouvrage sérieux et complet à l’usage du grand public de langue française qui lui ait été consacré. Il n’en est pas de même aux États-Unis où abondent aussi bien des travaux originaux effectués, sous l’égide de divers instituts et universités, que des traductions d’ouvrages initialement publiés en russe, soit par des émigrés en Occident, soit par des chercheurs soviétiques en URSS même. Parmi toutes ces contributions, celle de William C. Fletcher, voué depuis de longues années aux études relatives à l’URSS, nous paraît bénéficier de la documentation la plus abondante, la plus diversifiée et la plus soigneusement passée au crible d’une critique scientifique rigoureuse. Elle bénéficie aussi de l’incontestable talent d’écrivain de son auteur qui s’entend fort bien à susciter l’intérêt du lecteur par l’évocation de l’ambiance historique des événements relatés, par le choix des anecdotes et par d’opportunes citations.
De tout temps, l’Église orthodoxe russe eut à lutter contre les sectes religieuses, dont les plus importantes et les mieux connues (à la suite des travaux exhaustifs de Pierre Pascal) étaient celles issues du « Raskol » – le grand schisme du XVIIe siècle qui opposa les « Vieux-Croyants » à la hiérarchie officielle. Aujourd’hui encore, il en subsiste quelques traces. Mais l’essentiel des orthodoxes « clandestins » actuels est recruté parmi ceux qui n’ont plus la possibilité de se conformer ouvertement aux pratiques religieuses auxquelles ils s’estiment tenus par leurs convictions, en raison des limitations de plus en plus contraignantes imposées par le régime à l’Église officielle : réduction du nombre des églises autorisées à fonctionner, législation interdisant l’instruction religieuse des jeunes de moins de 18 ans, incompatibilité entre certains emplois et les pratiques religieuses, etc. Ce sont ces persécutions qui ont poussé bon nombre de croyants à choisir la clandestinité, et à accepter, par voie de conséquence, un certain nombre de déviations par rapport à la règle théologique traditionnelle. Les réunions de ces fidèles ont lieu dans des maisons privées, les sacrements, comme le mariage et le baptême, les enterrements mêmes, sont célébrés par correspondance (bénédiction des anneaux, d’une poignée de terre qui sera ensuite incorporée à la tombe, etc.). Ces pratiques, malheureusement, le caractère mystique du peuple russe aidant, se muent trop facilement et trop souvent en un sectarisme obscurantiste qui n’a plus grand-chose à voir avec le christianisme.
Néanmoins, estime l’auteur, ces mouvements clandestins malgré leur faiblesse numérique, constituent une réserve qui, en cas de dégel appréciable dans la politique religieuse du régime, collaborerait au réveil et à la réapparition de la religion dans le pays. À condition que l’élection du successeur du Patriarche Alexis, mort en avril 1970, et tout récemment remplacé par Pimène soit jugée canoniquement régulière. Sinon – et on ne tardera pas à être fixé – l’église clandestine pourrait donner naissance à un véritable schisme de grandes proportions. Et ce qui n’était, dans une certaine mesure, qu’un réflexe secret d’auto-défense, pourrait remonter à la surface de la vie intellectuelle russe qui, quoi qu’on en dise, influe de plus en plus ouvertement sur l’orientation du régime.
Tout cela nous a paru très intéressant et très nouveau. ♦