Nous sommes les occupants
La Presse française a toujours eu à son service des reporters de bonne foi et de grand talent. M. James de Coquet est de ceux qui honorent le mieux cette corporation, malgré tout, chez nous, trop peu fournie. Il est, actuellement, en Extrême-Orient d’où il envoie à un grand journal du matin de remarquables notations sur la situation. Il a eu la bonne fortune de suivre l’armée française dans son avance sur le Rhin et à l’intérieur de l’Allemagne. Son livre fixe avec un rare bonheur certains tableaux héroïques, tels que la traversée du Rhin ou la marche sur Stuttgart. C’est, en même temps, une fresque où les détails pittoresques, par exemple, la rencontre avec l’armée et les chefs russes, voisinent avec des notations dépourvues de toute pédanterie militaire, mais qui n’en sont pas moins d’une netteté et d’une vérité criantes, par exemple celles relatives au rôle décisif de l’aviation dans la victoire.
Visuel, l’auteur est, en même temps, un intellectuel de classe. Il trace de Berlin, du Palais impérial qui « perd ses entrailles comme un cheval de Picador », des esquisses fort suggestives, mais il ne dissimule point les difficultés politiques, auxquelles son esprit averti est, dès à présent, sensible, pour louvoyer au milieu de ces Allemagne juxtaposées à la fois dans l’espace et dans le temps. Il faudra, pense-t-il, de la part des Alliés, comme de nous-mêmes, un esprit politique aigu et toujours en alerte ; il nous faudra aussi un sens pratique peu commun. La gérance morale et matérielle d’un pays de 70 millions d’habitants, au cœur de l’Europe, est autre chose que celle de quelques tribus druses ou d’un chapelet d’îlots de l’Insulinde. Petit essai à feuilleter comme un album coloré, mais aussi à méditer.