Trumpf oder Bluff?
Le lieutenant-général H.J. Rieckhoff a consacré un volume de 296 pages à l’histoire de l’aviation allemande, entre 1933 et 1945. Le général H.J. Rieckhoff a appartenu à la Luftwaffe ; il y a fait une carrière brillante ; il a, au cours de la guerre, commandé en Russie et conduit la seule division de la Luftwaffe qui ait survolé la Cité de Londres. Ce sont là des titres à notre attention. La question que se pose l’auteur est celle-ci : « L’aviation allemande a-t-elle été un atout maître pour la stratégie de Hitler ou n’a-t-elle été qu’un bluff colossal ? » L’auteur incline vers la seconde réponse.
Il ne nie pas la chute qui a conduit, de 1941 à 1943, l’aviation de guerre allemande de la puissance à une décadence si rapide et si complète qu’elle a été une des causes de la défaite du Reich national-socialiste. Sous une forme volontairement modérée et qui s’efforce d’abdiquer toute passion, l’ancien général allemand souligne ce qui fut, à son avis, la cause essentielle de ce phénomène : l’emprise de la politique nationale-socialiste et de la toute-puissance du Führer sur une arme qui aurait dû rester, avant tout, aux mains des techniciens. Il nous donne un exemple décisif de cette méthode dangereuse : en septembre 1943, fut présenté au Führer le nouveau chasseur allemand Messerschmitt M.N. 262, que l’industrie allemande était prête à sortir en grande série. Hitler, enthousiasmé, demanda alors si l’engin pouvait emporter une bombe ; l’ingénieur, sans défense, répondit : « Oui, mon Führer, une bombe d’une tonne. » Sur ce, Hitler ordonna la transformation immédiate de l’appareil en chasseur-bombardier. Il fallut pour cela quinze mois de travail et l’avion transformé ne sortit qu’au mois de novembre 1944 par petits paquets, en dépit des récriminations des techniciens et des objections de stratèges aéronautiques comme le maréchal Milch.
Une autre cause de la décadence aéronautique de la Luftwaffe fut le manque d’organisation de ses arrières, qui la rendit incapable d’intervenir efficacement pendant des mois entiers à des milliers de kilomètres de ses bases industrielles, au cours de la campagne de Russie. Enfin, le général H.J. Rieckhoff reproche aux dirigeants de l’aéronautique allemande, en particulier au maréchal Gœring, de n’avoir pas su mettre sur pied un plan de recrutement et d’entraînement du personnel comparable à celui adopté par les Britanniques en 1938, et qui lui permit de satisfaire aux exigences sans cesse croissantes d’une guerre de cinq années. Ceci, joint au gaspillage du matériel et du personnel en Russie, au cours du ravitaillement des poches encerclées par les Russes, de l’emploi insensé de batteries de DCA sacrifiées dans la lutte antichar, explique, de l’avis du général allemand, la disparition très rapide du personnel d’élite du début de la guerre. Rien n’est plus intéressant que d’entendre, de la bouche de cet Allemand sincère et documenté, la démonstration du fait que la Luftwaffe fut, avant tout, un bluff colossal au service de la propagande nationale-socialiste.