Souvenirs d’une Ambassade à Berlin
Le livre que vient de publier notre collaborateur André François-Poncet, est plus et mieux qu’un simple recueil de souvenirs. Sans doute, André François-Poncet, dont les lecteurs ont pu apprécier la faculté d’évocation, nous fait-il participer à la vie si pleine qu’il lui a été donné de mener pendant sept années à l’élégante Ambassade du Pariserplatz. Il a été, pendant son séjour à Berlin, au centre même de la vie de la capitale du Reich. Il a connu personnellement tous les acteurs, aussi bien Allemands qu’Européens qui, ont participé à la préparation du vaste drame européen auquel nous avons assisté depuis 1939.
Il était particulièrement bien préparé à ce rôle, puisque voici déjà de très longues années, il avait été lui-même étudiant à l’Université de Berlin et à celle de Munich, envoyé comme boursier en Allemagne par l’École normale supérieure, et qu’il avait, en outre, compté au nombre des meilleurs germanistes et des disciples les plus brillants des Andler et des Lichtenberger. À ce titre, son témoignage sur l’histoire du National-Socialisme revêt une importance particulière ; sa profonde connaissance de l’allemand, de la politique et de l’âme germaniques lui avait permis de pénétrer de plain-pied et sans soulever leur méfiance, dans l’intimité même des maîtres du Reich. Il n’est pas jusqu’à Hitler lui-même dont il n’avait su, par son habile compétence, adoucir l’humeur et par moments, capter la confiance. Celui-ci ne dissimulait pas, d’ailleurs, la véritable admiration dans laquelle il tenait les hautes capacités intellectuelles et diplomatiques du représentant de la France. Mais celui-ci étant, avant tout, un bon et loyal serviteur de son pays ; chaque jour, partaient de son ambassade, de longs rapports ou de courtes dépêches dans lesquels, avec perspicacité et courage, il notait les progrès de la folie qui envahissait progressivement l’âme du Maître absolu du Reich, véritable possédé qui relevait réellement de la psychopathie, et que rien ne pouvait arrêter sur la pente du crime. Aussi n’est-il point étonnant que, lorsque la correspondance secrète de l’ambassade de France et des ministres qui se succédèrent au Quai d’Orsay et leurs services, fut découverte au cours de l’avance allemande dans notre pays, François-Poncet ait alors pris figure, aux yeux d’Adolphe Hitler, de traître et d’espion, et qu’il n’ait pas hésité à le faire arracher à sa paisible demeure de Grenoble où il s’était réfugié après son éviction du territoire italien par le gouvernement fasciste.
Avec François-Poncet, nous revivons tous les événements capitaux, le plus souvent dramatiques, qui ont marqué le passage de la prise du pouvoir dans le Reich par le National-Socialisme, à ses agressions, de plus en plus impardonnables, contre l’Autriche, contre la Tchécoslovaquie et contre la Pologne – préludes de l’offensive décisive contre les grands alliés occidentaux. C’est dire sans qu’il soit possible de résumer ici une œuvre si dense et si riche d’expériences politiques et humaines, l’intérêt capital qu’elle présente pour tout Français épris de vérité, désireux d’éclairer, autant que cela est possible, l’énigme constituée, au sein de l’Europe, par l’Allemagne, et par la crise la plus grave de son histoire, sa conversion au National-Socialisme, instrument de sa défaite totale.