De la révolution aux révoltes
Combattant de la Résistance, professeur d’université, théologien à ses heures, Jacques Ellul a toujours orienté ses réflexions vers les sujets qui touchent au comportement de l’individu, à la vie en société et à notre temps. Écrivain de talent, doué d’une grande facilité d’expression, il sait présenter le fruit de sa méditation en un style direct, imagé, chaud et coloré, qui procède d’une remarquable maîtrise du vocabulaire et du langage.
Le thème central de son dernier ouvrage (qui fait suite à son « Autopsie de la révolution » et l’approfondit) peut être très succinctement résumé comme suit. Dans la société technicienne de l’Occident, les mouvements révolutionnaires, dans le sens à la fois politique et constructif du terme, ne sont plus possibles. Ces sociétés sécrètent des sortes d’anticorps qui bloquent « l’aspiration révolutionnaire de l’humanité ». Et cependant, « plus la société est technicienne, plus elle est insupportable à l’homme… Cette contradiction se résout alors en une multitude de révoltes, comme un joint mal serré laisse fuir la vapeur dans le conflit entre le piston, le cylindre et le gaz ».
Sans trop s’écarter de cette idée dominante et tout en poursuivant sa démonstration avec vigueur et logique, Jacques Ellul mène une enquête approfondie sur tous les courants de pensée qui ont agité et façonné les cinquante dernières années d’évolution de nos sociétés occidentales. Il élargit ensuite cette enquête au Tiers-Monde et à la Chine, dans la mesure du moins où ces pays auraient pu (mais il estime qu’il n’en a pas été ainsi) influer sur « la révolution nécessaire à mener par rapport à nos structures occidentales et qui est la seule révolution importante pour l’Occident ».
Jacques Ellul est amené à nous soumettre ses interprétations personnelles, presque toujours originales, inattendues et frappantes, sur des sujets aussi divers que les motivations du nazisme hitlérien, la guérilla sud-américaine, la révolution culturelle chinoise, les courants d’agitation aux États-Unis, le tumulte de mai 1968 en France, le comportement de la jeunesse face à la société de consommation, etc. Tout cela foisonne d’idées brillantes et neuves.
Ce genre littéraire, qui procède de Montaigne, en passant par Tocqueville et Galbraith, ne souffre ni banalité, ni médiocrité. L’ouvrage de Jacques Ellul est certainement exempt de l’une et de l’autre, qu’on partage ou non ses opinions. ♦